Darcos attaque (sournoisement) Sarkozy

Publié le par Olivier Bouba-Olga

Via Gizmo, j'apprends que notre notre ministre de l'Education Nationale a déclaré dans Paris-Match (après Copé, c'est Darcos qui se déchaîne dans cet hebdomadaire : va falloir que je m'abonne...) :

"Attention, en particulier aux filières sans débouché évident. Je pense à 'ES' (économique et social). Elle attire beaucoup d'élèves qui occupent ensuite de grands amphis mais se retrouvent avec des diplômes de droit, psychologie, sociologie... sans toujours un emploi à la clef".

Ceci mérite quelques explications et vérifications...

Petite précision d'abord.  Quand Darcos parle de "filières sans débouché évident", il ne parle pas de débouchés professionnels : la filière ES, comme la filière S et L, est une filière générale qui nécessite une poursuite d'étude. Il parle donc de débouchés en termes de formation, ce qui est confirmé par la suite de ses propos : les bacheliers ES iraient prioritairement dans des formations générales de l'Université (droit, psycho, socio, ...), dont Darcos nous dit qu'elles sont sans débouchés. Pour éprouver la portée de ses propos, il faut donc valider 3 points :

1. les bac ES vont-ils plus souvent que les bachelier S et L dans les formations générales de l'Université?
2. réussissent-ils mieux ou moins bien que leurs petits camarades?
3. Ces formations offrent-elles des débouchés?

Pour cela, on peut s'en remettre aux statistiques de l'Education Nationale, que notre Ministre ne peut pas ne pas connaître (merci à Virginie pour l'aide matutinale à la navigation sur le site du Ministère...). Par exemple, ce document, plus précisément ce tableau :

darcos1.gif

On y apprend avec surprise que 59% des bacheliers ES s'engagent dans les filières générales de l'Université, contre 57,7% des bacs S (on appréciera l'ampleur de l'écart) et 75% des bacs L. Symétriquement, ils sont 21,1% à s'engager dans des IUT ou STS, 5,9% dans des CPGE et 11,6% dans d'autres formations, principalement des écoles. L'Association des Professeurs de Sciences Economiques et Sociales (APSES) complète le tableau, toujours à partir des statistiques du Ministère de l’Education Nationale, en nous apprenant qu'en 2005-2006, "16,5% des bacheliers E.S. s’orientaient vers des études économiques, 17,5% vers les facultés de sciences humaines et sociales (dont plus des deux tiers des étudiants provenaient de filières autres que la filière E.S.), 15% vers les facultés de droit, et 11% vers les facultés de lettres et langues". Pour information, les filière d'économie et de droit sont parmi celles qui offrent le plus de débouchés à leurs étudiants...

Deuxième point à vérifier : les bacheliers ES réussissent-ils moins bien leurs études supérieures que les autres bacheliers? Réponse négative là aussi, si l'on en juge par
cet autre document. Le tableau 01 nous apprend que, logiquement, les bacheliers généraux réussissent mieux que les autres bacs dans l'enseignement supérieur, et que, au sein des bacs généraux, les bacs ES ont des "scores" supérieurs à ceux des L et inférieurs à ceux des S. Le tableau 03 nous apprend que la probabilité de réussite en Licence d'une cohorte d'étudiants est la plus forte pour ceux ayant un bac... ES. Idem pour la probabilité de réussite en IUT. Bref, si on s'appuie sur ces chiffres, et si on suit le raisonnement de Xavier Darcos (ce que je ne ferais pas), c'est plus la filière L que la filière ES qu'il faudrait supprimer (au fait, il a fait quoi comme bac, notre ministre?).

Dernier point, sur les débouchés des filières de l'Université. J'en avais parlé
ici il y a plus d'un an : les formations professionnalisantes (Masters désormais) proposées par les Universités offrent des débouchés importants (faible taux de chômage) et des emplois de qualité (proportion forte de personnes occupant des emplois de catégorie supérieure). Le problème n'est donc pas tant celui de la qualité des formations ou de l'adéquation système éducatif/système productif que : i) une orientation excessive des bacheliers, sans qu'on observe de spécificité pour les bacs ES, dans des filières offrant des débouchés en nombre insuffisant, et, symétriquement, un manque d'étudiants dans des filières qui en offrent (sciences et sciences économiques notamment),  ii) un taux d'échec important dans les premières années (sans spécificité, là encore, des bacs ES), iii) la difficulté pour certains d'atteindre et d'être sélectionnés dans des formations de Master.

Bon, mais tout cela, Xavier Darcos le sait parfaitement bien. Il est Ministre de l'Education Nationale, quand même. Comment alors comprendre sa déclaration? Deux hyptohèses :

H1. Xavier Darcos sait que notre président a obtenu en 1973 un bac B (ancêtre du bac ES), puis qu'il s'est lancé dans des études de Droit. Sa déclaration a donc pour but de se moquer de Notre Président de la République, ce qui ne se fait pas,

H2. Plus machiavélique. Xavier Darcos sait que certains proches du gouvernement, voire des membres du gouvernement, voudraient bien supprimer la filière ES, mais pour d'autres motifs (voir
ici et pour une discussion avec Pierre Bilger). Intelligent comme il est, il sait que ce ne serait pas très malin. Il attaque donc la filière ES en s'appuyant sur des éléments dont il sait pertinemment qu'ils seront très vite réfutés par les économistes, qui savent quand même analyser les statistiques et dire des choses sur les débouchés en termes d'emploi. De cette façon, la filière ES devient difficilement attaquable... Un peu tordu ? Sans doute, mais, après tout, il se dit bien qu'il a annoncé très vite 10 000 suppressions de postes dans l'EN pour éviter les 17 000 que Sarkozy voulait...

Publié dans Université

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J
pétiton pour la déstitution de niciolas sarkozy de ses fonction de président de la république à signer et a diffuser largement signez sur www.antisarkozysme.com
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A
@ Bruno : très bonne analyse de la situation. Normal vme direz-vous c'est votre métier. Mais quand même !La fusion des séries L et ES, que personellement j'aimerais renommer Les Humanités plutôt, me semble une erreur car si elle repose sur une articulation d'options, en quoi au final cette nouvellefilière se différencierait des deux filières desagrégées ?
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B
Merci pour cette contribution au débat provoqué par les propos tenus récemment par le ministre sur la filière ES.Mais je trouve que votre analyse des causes de ces positions volontairement erronées (mais non dénuées d'intentions), est très incomplète.A mes yeux, c'est du côté de la crise de la série L, sévère en vérité compte tenu de l'effondrement constaté depuis quinze ans des effectifs d'élèves qui s'y orientent après la classe de seconde, qu'il faut chercher "à qui profite le crime". Ne perdons pas de vue que le ministre est agrégé de lettres, et donc, avec bien d'autres, particulièrement sensibles à cette crise, ce que l'on peut comprendre. A ce titre, il aura lu avec beaucoup d'intérêt le rapport de l'Inspection générale en date de juillet 2006 ("Evaluation des mesures prises pour revaloriser la série littéraire au lycée"). Ce rapport est téléchargeable sur le site du ministère (www.education.gouv.fr) . En page 87, les rédacteurs commencent par envisager un "scénario radical" qui, pour sauver la série L, supprimerait les trois séries générales, ou plus exactement les fusionnerait en une seule, avec des différenciations par des jeus d'options. très vite cependant, ils reconnaissent qu'un tel scénario est impraticable ("si, théoriquement, ce scénario est envisageable (...), plusieurs raisons risquent de dissuader de le mettre en oeuvre, et les conditions de sa réussite ne semblent pas pouvoir être facilement réunies"). Ils proposent alors un scénario plus réaliste, "un scénatrio qui fusionne les séries ES et L, en conservant toutefois deux groupes d'options assez nettement différenciées". Et les rapporteurs de proposer que cette future série ES/L porte le nom de "lettres, économie et sciences sociales" (LES), dans le souci écrivent-ils de "ne pas donner l'impression aux enseignants qu'une disciplne a été absorbée par les autres". Voila, me semble-t-il, la raison profonde de ces attaques ciontre le bac ES. Plutôt que de s'attaquer au fond, c'est-à-dire de rénover la série L pour la rendre plus attractive, dans le respect des deux autres séries (ES et S), on préfère chercher la solution en rendant la série L (qui est malade) , soluble dans la série ES (qui est en excellente santé). Nos amis littéraires croient-ils sérieusement que c'est ainsi que l'on pourra sauver les lettres ? Au passage, une telle fusion permettra d'importantes "économies d'échelle" (fermetures de classes par regroupement, réductioon de l'offre d'options, etc.). Bruno MAGLIULOInspecteur d'académie honoraireAuteur, dans la collection L'Etudiant, de "Réussir ses études avec un bac ES"
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E
(Bis repetita placent). Tu as raison, bien sûr. Mais c'est le problème des études supérieures, pas de la ES... ou même du lycée en général, pas de la ES en particulier. 80% au bac, et après ? comme disait l'autre (l'autre c'est le sociologue Stéphane Beaud).Mais bon, ça fait dégonfler les chiffres du chômage d'avoir plus d'étudiants ! Tiens ce serait intéressant d'ailleurs : comme le passage au LMD "gomme" provisoirement l'échec à la fac (dans plusieurs que je connais, on peut échouer à tous ses examens -je caricature à peine- et cependant aller passer les partiels de L3, quitte si on les rate à se retrouver Bac+0 comme devant), il a pu y avoir une baisse artificielle du chômage à ce moment, les déçus de la fac n'abandonnant pas immédiatement leurs études (or les titulaires d'un bac général "sec" sont plus souvent au chômage que les titulaires d'un bac pro sec). Quelqu'un a des chiffres ?
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A
emmeline, je n'ai pas dit que l'université devait former à un métier ! les BTS et autres IUT sont là pour ca..; mais ce que je veux dire c'est que 80% d'une génératrion c'est une chimère, si sur ces 80%, 25% sont au chomage, 15% sous employés ...
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