Darcos attaque (sournoisement) Sarkozy
Via Gizmo, j'apprends que notre notre ministre de l'Education Nationale a déclaré dans Paris-Match (après Copé, c'est Darcos qui se déchaîne dans cet hebdomadaire : va falloir que je m'abonne...) :
"Attention, en particulier aux filières sans débouché évident. Je pense à 'ES' (économique et social). Elle attire beaucoup d'élèves qui occupent ensuite de grands amphis mais se retrouvent avec des diplômes de droit, psychologie, sociologie... sans toujours un emploi à la clef".
Ceci mérite quelques explications et vérifications...
Petite précision d'abord. Quand Darcos parle de "filières sans débouché évident", il ne parle pas de débouchés professionnels : la filière ES, comme la filière S et L, est une filière générale qui nécessite une poursuite d'étude. Il parle donc de débouchés en termes de formation, ce qui est confirmé par la suite de ses propos : les bacheliers ES iraient prioritairement dans des formations générales de l'Université (droit, psycho, socio, ...), dont Darcos nous dit qu'elles sont sans débouchés. Pour éprouver la portée de ses propos, il faut donc valider 3 points :
1. les bac ES vont-ils plus souvent que les bachelier S et L dans les formations générales de l'Université?
2. réussissent-ils mieux ou moins bien que leurs petits camarades?
3. Ces formations offrent-elles des débouchés?
Pour cela, on peut s'en remettre aux statistiques de l'Education Nationale, que notre Ministre ne peut pas ne pas connaître (merci à Virginie pour l'aide matutinale à la navigation sur le site du Ministère...). Par exemple, ce document, plus précisément ce tableau :
On y apprend avec surprise que 59% des bacheliers ES s'engagent dans les filières générales de l'Université, contre 57,7% des bacs S (on appréciera l'ampleur de l'écart) et 75% des bacs L. Symétriquement, ils sont 21,1% à s'engager dans des IUT ou STS, 5,9% dans des CPGE et 11,6% dans d'autres formations, principalement des écoles. L'Association des Professeurs de Sciences Economiques et Sociales (APSES) complète le tableau, toujours à partir des statistiques du Ministère de l’Education Nationale, en nous apprenant qu'en 2005-2006, "16,5% des bacheliers E.S. s’orientaient vers des études économiques, 17,5% vers les facultés de sciences humaines et sociales (dont plus des deux tiers des étudiants provenaient de filières autres que la filière E.S.), 15% vers les facultés de droit, et 11% vers les facultés de lettres et langues". Pour information, les filière d'économie et de droit sont parmi celles qui offrent le plus de débouchés à leurs étudiants...
Deuxième point à vérifier : les bacheliers ES réussissent-ils moins bien leurs études supérieures que les autres bacheliers? Réponse négative là aussi, si l'on en juge par cet autre document. Le tableau 01 nous apprend que, logiquement, les bacheliers généraux réussissent mieux que les autres bacs dans l'enseignement supérieur, et que, au sein des bacs généraux, les bacs ES ont des "scores" supérieurs à ceux des L et inférieurs à ceux des S. Le tableau 03 nous apprend que la probabilité de réussite en Licence d'une cohorte d'étudiants est la plus forte pour ceux ayant un bac... ES. Idem pour la probabilité de réussite en IUT. Bref, si on s'appuie sur ces chiffres, et si on suit le raisonnement de Xavier Darcos (ce que je ne ferais pas), c'est plus la filière L que la filière ES qu'il faudrait supprimer (au fait, il a fait quoi comme bac, notre ministre?).
Dernier point, sur les débouchés des filières de l'Université. J'en avais parlé ici il y a plus d'un an : les formations professionnalisantes (Masters désormais) proposées par les Universités offrent des débouchés importants (faible taux de chômage) et des emplois de qualité (proportion forte de personnes occupant des emplois de catégorie supérieure). Le problème n'est donc pas tant celui de la qualité des formations ou de l'adéquation système éducatif/système productif que : i) une orientation excessive des bacheliers, sans qu'on observe de spécificité pour les bacs ES, dans des filières offrant des débouchés en nombre insuffisant, et, symétriquement, un manque d'étudiants dans des filières qui en offrent (sciences et sciences économiques notamment), ii) un taux d'échec important dans les premières années (sans spécificité, là encore, des bacs ES), iii) la difficulté pour certains d'atteindre et d'être sélectionnés dans des formations de Master.
Bon, mais tout cela, Xavier Darcos le sait parfaitement bien. Il est Ministre de l'Education Nationale, quand même. Comment alors comprendre sa déclaration? Deux hyptohèses :
H1. Xavier Darcos sait que notre président a obtenu en 1973 un bac B (ancêtre du bac ES), puis qu'il s'est lancé dans des études de Droit. Sa déclaration a donc pour but de se moquer de Notre Président de la République, ce qui ne se fait pas,
H2. Plus machiavélique. Xavier Darcos sait que certains proches du gouvernement, voire des membres du gouvernement, voudraient bien supprimer la filière ES, mais pour d'autres motifs (voir ici et là pour une discussion avec Pierre Bilger). Intelligent comme il est, il sait que ce ne serait pas très malin. Il attaque donc la filière ES en s'appuyant sur des éléments dont il sait pertinemment qu'ils seront très vite réfutés par les économistes, qui savent quand même analyser les statistiques et dire des choses sur les débouchés en termes d'emploi. De cette façon, la filière ES devient difficilement attaquable... Un peu tordu ? Sans doute, mais, après tout, il se dit bien qu'il a annoncé très vite 10 000 suppressions de postes dans l'EN pour éviter les 17 000 que Sarkozy voulait...