Entreprise négative contre l'enseignement de l'économie - épisode 3
Nouvel épisode, car le débat repart de plus belle. Voir par exemple RCE, Pierre Maura, David Mourey, Denis Colombi et le site de l'APSES avec tout un ensemble de liens vers des articles ou émissions de radio.
Résumé des épisodes précédents :
Comme le rappelle Yvon Gattaz dans un "grand débat" de BFM du 14 janvier dernier, l'économie, ça se passe dans les entreprises. Les mieux placés pour parler d'économie, ce sont donc les dirigeants d'entreprises. Il conviendrait dès lors qu'ils participent à la définition des programmes, et qu'ils interviennent plus souvent dans les collèges et lycées, histoire d'expliquer aux élèves (et à leurs enseignants) ce que c'est que la vérité vraie de l'entreprise et donc, la vérité vraie en matière d'économie.
Dans cette perspective, on consultera avec intérêt cet article des Echos, qui reprend les principaux résultats d'une étude de Watson Wyatt, dans laquelle le cabinet de consultant interroge employés et employeurs sur ce qui attire les premiers dans les entreprises, et sur ce qui les en fait partir. Sur cette question, les employés sont logiquement les mieux informés. Tout l'enjeu est donc de savoir si les employeurs ont bien compris leurs motivations. En fait, non : sur le premier point, les employeurs répondent "l'évolution de carrière" à 55% et "la réputation de l'entreprise" à 51%. Mais si on interroge les employés, ils répondent "le contenu du poste" à 49% et "la sécurité de l'emploi" à 34%. Idem sur le deuxième point : les employeurs pensent que les salariés partent pour des raisons d'évolution de carrière (49%) ou pour une promotion (48%) alors que les employés insistent sur "le niveau de stress" (35%) et "le salaire de base" (34%).
Imaginons maintenant qu'un dirigeant soit invité dans un établissement pour expliquer à nos chères têtes blondes ce qui attire et fait partir les salariés des entreprises. En supposant que le sondage mentionné ici soit représentatif de l'opinion des dirigeants, on peut penser qu'ils vont commettre quelques erreurs d'analyse... On remarque également avec ce petit exemple que l'objectif assigné par Positive Entreprise (et par d'autres, notamment Claude Goasgen sur France Info) d'un enseignement objectif et positif est difficilement atteignable : si on veut que l'enseignement soit positif, autant éviter de dire que nombre de salariés disent quitter leur emploi pour motif de stress. Ce faisant, on perd en objectivité. Et si on mentionne l'importance du stress, à l'inverse, on perd en positive attitude. On pourrait multiplier les exemples : j'avais montré ici les erreurs d'analyse de Laurence Parisot, lorsqu'elle s'était improvisée prof d'économie devant un aréopage de dirigeants du Medef. Dans cet autre billet, j'avais montré le décalage entre ce que pensent les dirigeants de l'attractivité de la France et le degré effectif d'attractivité de notre pays. Bref : un bon dirigeant d'entreprise n'est pas nécessairement, il est sans doute même très rarement, un bon économiste. Et ce n'est pas grave, car ce n'est pas ce qu'on lui demande. Pas plus qu'on ne demande aux profs ou chercheurs en économie d'être de bons dirigeants d'entreprises.
Ceci ne signifie pas qu'il ne faut pas développer les relations entre entreprises et monde de l’éducation, notamment dans le cadre des cours d’économie. Mais pas pour que ces dirigeants expliquent ce qu’il faut enseigner, ni comment. Je reprends l’exemple du stress des salariés : je pense qu’il peut être efficace que l’enseignant présente l’état de la réflexion des économistes sur le sujet plus large des conditions de travail (en s’appuyant par exemple et entre autres sur les travaux d’Askenazy). On peut imaginer ensuite qu’il invite des dirigeants, des salariés, un médecin du travail, ..., à venir échanger sur le sujet. Ceci permettrait de donner du corps à l’enseignement dispensé, d’identifier d’éventuels décalages entre l’état général du problème et la représentation qu’en ont les acteurs, de discuter autour de ces décalages, d’échanger aussi sur les moyens mobilisés par les acteurs pour résoudre les problèmes rencontrés. Pour information, et pour y avoir participé à l'occasion, je signale que ce type de démarche existe déjà dans les lycées, et que ça fonctionne très bien. A charge sans doute de trouver les moyens de généraliser, ce qui suppose notamment que les responsables d'entreprises acceptent de dégager un peu de temps pour cela.
Au final, les élèves n'auraient sans doute ni une vision positive de l'entreprise, ni une vision négative, simplement une vision plus juste, et de meilleurs outils pour décrypter la réalité qui les entoure. Ce que l'on peut considérer comme un objectif louable, y compris pour les entreprises sousceptibles de recruter, plus tard, ces personnes.
Résumé des épisodes précédents :
L’Association Positive entreprise considère que les jeunes n’aiment pas l’entreprise à cause de l’école et plus précisément en raison du contenu des manuels scolaires d’économie de seconde, qui véhiculent « une image pessimiste, incomplète, réductrice et idéologiquement orientée de l’entreprise ». Pour pallier ce problème, Thibault Lanxade propose d’intégrer « des chefs d’entreprise dans la commission des programmes scolaires », afin de « réactualiser les données des manuels scolaires et [de] proposer une vision objective et positive du monde de l’entreprise ». Lors de l’épisode 1, nous avons vu que 71,4% des élèves ne suivent pas l’enseignement de SES, difficile dès lors d’en faire le responsable du désamour des jeunes pour l’entreprise. Lors de l'épisode 2, nous avons montré, à partir des sondages de l'association Positive Entreprise elle-même, ce qui est quand même cocasse, que 74% des jeunes ont un opinion positive de l'entreprise. Troisième épisode, donc, qui s'intéresse à la capacité des dirigeants à proposer "une vision objective et positive" du monde de l'entreprise...
Comme le rappelle Yvon Gattaz dans un "grand débat" de BFM du 14 janvier dernier, l'économie, ça se passe dans les entreprises. Les mieux placés pour parler d'économie, ce sont donc les dirigeants d'entreprises. Il conviendrait dès lors qu'ils participent à la définition des programmes, et qu'ils interviennent plus souvent dans les collèges et lycées, histoire d'expliquer aux élèves (et à leurs enseignants) ce que c'est que la vérité vraie de l'entreprise et donc, la vérité vraie en matière d'économie.
Dans cette perspective, on consultera avec intérêt cet article des Echos, qui reprend les principaux résultats d'une étude de Watson Wyatt, dans laquelle le cabinet de consultant interroge employés et employeurs sur ce qui attire les premiers dans les entreprises, et sur ce qui les en fait partir. Sur cette question, les employés sont logiquement les mieux informés. Tout l'enjeu est donc de savoir si les employeurs ont bien compris leurs motivations. En fait, non : sur le premier point, les employeurs répondent "l'évolution de carrière" à 55% et "la réputation de l'entreprise" à 51%. Mais si on interroge les employés, ils répondent "le contenu du poste" à 49% et "la sécurité de l'emploi" à 34%. Idem sur le deuxième point : les employeurs pensent que les salariés partent pour des raisons d'évolution de carrière (49%) ou pour une promotion (48%) alors que les employés insistent sur "le niveau de stress" (35%) et "le salaire de base" (34%).
Imaginons maintenant qu'un dirigeant soit invité dans un établissement pour expliquer à nos chères têtes blondes ce qui attire et fait partir les salariés des entreprises. En supposant que le sondage mentionné ici soit représentatif de l'opinion des dirigeants, on peut penser qu'ils vont commettre quelques erreurs d'analyse... On remarque également avec ce petit exemple que l'objectif assigné par Positive Entreprise (et par d'autres, notamment Claude Goasgen sur France Info) d'un enseignement objectif et positif est difficilement atteignable : si on veut que l'enseignement soit positif, autant éviter de dire que nombre de salariés disent quitter leur emploi pour motif de stress. Ce faisant, on perd en objectivité. Et si on mentionne l'importance du stress, à l'inverse, on perd en positive attitude. On pourrait multiplier les exemples : j'avais montré ici les erreurs d'analyse de Laurence Parisot, lorsqu'elle s'était improvisée prof d'économie devant un aréopage de dirigeants du Medef. Dans cet autre billet, j'avais montré le décalage entre ce que pensent les dirigeants de l'attractivité de la France et le degré effectif d'attractivité de notre pays. Bref : un bon dirigeant d'entreprise n'est pas nécessairement, il est sans doute même très rarement, un bon économiste. Et ce n'est pas grave, car ce n'est pas ce qu'on lui demande. Pas plus qu'on ne demande aux profs ou chercheurs en économie d'être de bons dirigeants d'entreprises.
Ceci ne signifie pas qu'il ne faut pas développer les relations entre entreprises et monde de l’éducation, notamment dans le cadre des cours d’économie. Mais pas pour que ces dirigeants expliquent ce qu’il faut enseigner, ni comment. Je reprends l’exemple du stress des salariés : je pense qu’il peut être efficace que l’enseignant présente l’état de la réflexion des économistes sur le sujet plus large des conditions de travail (en s’appuyant par exemple et entre autres sur les travaux d’Askenazy). On peut imaginer ensuite qu’il invite des dirigeants, des salariés, un médecin du travail, ..., à venir échanger sur le sujet. Ceci permettrait de donner du corps à l’enseignement dispensé, d’identifier d’éventuels décalages entre l’état général du problème et la représentation qu’en ont les acteurs, de discuter autour de ces décalages, d’échanger aussi sur les moyens mobilisés par les acteurs pour résoudre les problèmes rencontrés. Pour information, et pour y avoir participé à l'occasion, je signale que ce type de démarche existe déjà dans les lycées, et que ça fonctionne très bien. A charge sans doute de trouver les moyens de généraliser, ce qui suppose notamment que les responsables d'entreprises acceptent de dégager un peu de temps pour cela.
Au final, les élèves n'auraient sans doute ni une vision positive de l'entreprise, ni une vision négative, simplement une vision plus juste, et de meilleurs outils pour décrypter la réalité qui les entoure. Ce que l'on peut considérer comme un objectif louable, y compris pour les entreprises sousceptibles de recruter, plus tard, ces personnes.