Les inégalités, produit des politiques?

Publié le par Olivier Bouba-Olga

La lettrevolée fait état du débat en cours aux Etats-Unis entre Krugman (et d'autres) vs. Mankiw (et d'autres) sur le pourquoi de l'accroissement des inégalités de revenu. La thèse de Krugman : la couleur du parti à la Maison Blanche y est pour beaucoup. Celle de Mankiw : non, non, mon capitaine, l'accroissement des inégalités s'explique par l'évolution technologique, biaisée en faveur du capital humain. Le débat tel qu'il s'est développé par blogs interposés est synthétisé ici, par Brad DeLong.

Première remarque : ca discute et ca débat entre économistes aux Etats-Unis, plus qu'en France me semble-t-il.

Notons que débat a commencé avec cet éditorial de Krugman dans le NY Times, éditorial qui commençait ainsi :
Recently, Henry Paulson, the Treasury secretary, acknowledged that economic inequality is rising in America ... he also conceded that this might be cause for concern.
But he quickly reverted to form, falsely implying that rising inequality is mainly a story about rising wages for the highly educated. And he argued that nothing can be done about this trend... History suggests otherwise. ...

Deuxième remarque : encore un politique qui se désarme tout seul...

Troisième remarque :  je suis pas peu fier d'avoir  précédé Krugman  il y a quelque temps déjà, en reprenant un graphique montrant l'explosion des inégalités sous Tatcher au Royaume-Uni. Je le reprends ici :

Quatrième remarque : Krugman s'appuie pour argumenter sur l'étude de Bartel, dans laquelle on trouve le graphique saisissant suivant :
Pas beaucoup d'ambiguité semble-t-il...

L'explication avancé par Krugman est la suivante :

Unions are probably top of the list; I believe that there's a qualitative difference between wage bargaining in an economy with 11 percent of workers unionized, which is what we had in the early 30s, and one with 35 percent unionization, which is what emerged from World War II. That's discontinuous change, partly driven by a change in political regime. And the process went in reverse under Reagan.

Selon lui, l'explication première tient donc au poids des syndicats (poids qui dépend lui même de la couleur politique du gouvernement en place). Des syndicats faibles ne peuvent faire pression à la hausse sur les salaires des plus pauvres, des syndicats forts le peuvent. En gros, son analyse est sous-tendue par une approche plutôt marxiste - keynésienne - régulationniste de la formation des salaires (c'est moi qui le dit. Pas sûr que Krugman apprécie la filiation, si quelqu'un voit une autre façon de théoriser ce qu'il affirme, je suis preneur!), qui dépend des rapports de force entre les collectifs d'acteurs. Mankiw and Co s'appuient de leur côté sur une analyse néoclassique, dans laquelle les facteurs de production sont rémunérés à leur productivité marginale : si les personnes qualifiées disposent de salaires plus importants, et si l'écart se creuse entre eux et les personnes moins qualifiées, c'est que leur productivité est plus forte, et croît de manière plus rapide (étant entendu que l'on peut faire des variations sur la sur-rémunération en introduisant des analyses genre salaire d'efficience dont Mankiw est friand). 

Bon, de mon point de vue, c'est plutôt une position intermédiaire qu'il faut défendre: l'évolution économique récente favorise clairement les personnes les plus qualifiées, qui bénéficient d'un accès privilégié à l'emploi et des rémunérations plus attractives. Cependant, les écarts de rémunération dépendent aussi des rapports de force entre les collectifs d'acteurs, d'où la dépendance au poids des syndicats et à l'idéologie dominante au pouvoir. Pour le dire autrement, disons que l'évolution économique produit un potentiel d'inégalités de revenu, qui sera pleinement réalisé, ou seulement partiellement, en fonction des rapports de force entre acteurs (Cf. aussi l'analyse de Mark Toma et le papier en lien sur le cas australien).

D'un point de vue de politique économique, deux perspectives:
* faire en sorte de rééquilibrer les rapports de force entre les collectifs d'acteurs, étant entendu qu'en France les syndicats de salariés ne pèsent plus grand chose... (je ne suis donc pas tout à fait d'accord (euphémisme) avec Enzo d'Aviolo qui tire à boulet rouge sur Ségolène et sa volonté d'accroître le taux de syndicalisation). Ceci devrait conduire à la mise en oeuvre de nouveaux compromis institutionnalisés pour reprendre des termes régulationnistes, définissant de nouveaux modes de distribution (et de redistribution) des revenus.
* Mais aussi élever le niveau de qualification de la population pour prendre acte du caractère biaisé du changement technologique. Ce qui veut dire une politique ambitieuse de formation initiale et continue. En développant ce type de politique, on agit en amont de la distribution/redistribution des revenus. Autrement dit, on n'attend pas que les inégalités surviennent pour les corriger, mais on agit sur les déterminants des inégalités (différences de qualification).

remarque conclusive : à quand des débats de ce type en France?

Publié dans Politique

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L
Je n'ai pas vu Guerrien en "live", je dois me contenter de cet article.Encore merci pour les précisions.
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O
@ Laurent : oui, oui! c'est bien pour ca que je disais dans mon premier commentaire avec beaucoup des choses dites par Guerrien.... Mais il force parfois le trait  (euphémisme). Certes, dans l'article il met les formes, mais pour l'avoir vu lors d'une conférence tirer à boulet rouge sur l'approche évolutionniste, je vous assure qu'il arrive assez vite à être caricatural!
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L
Autant que je puisse le trouver, il qualifie ces observations"une partie non négligeable de la profession, essentiellement au niveau académique, s’est réfugiée dans l’abstrac-tion et le formalisme."Il ne dit même pas majorité."souvent présentée comme la garantie d’une approche « non idéologique »"La aussi, c'est "souvent"."Cette étude – à laquelle, heureusement, beaucoup se consacrent – est pourtant à la fois passionnante et nécessaire"Autre sens, même type de qualification non absolue.Bien sur, il pourrait faire l'effort de documenter et de chiffrer en analysant les publications sur une certaine période avec une classification sommaire.Mais il me semble que cet article mets en évidence clairement les dérives effectives d'une partie du milieu (qui m'apparaissent comme bien visible en tant qu'"outsider") et donne des explications sociologiques et contextuelles.Quelques exemples sur le role des maths, voir les commentaires 16 et 22 dehttp://leconomiste.free.fr/notes/index.php?2006/03/19/14-economistes-matheux-et-physiciens" Mais le débat scientifique ne se situe pas à ce niveau, et qui ne possède pas les outils techniques (i.e. mathématiques) et la formation nécéssaire pour comprendre la science économique telle qu'elle est créé et débattue dans la litérature spécialisée n'a pas de légitimité pour intervenir dans le débat scientifique"Clair et définitif ...
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O
@ Laurent : disons que le principal reproche que je ferais à Guerrien est qu'il critique une caricature, si bien qu'il en devient lui même caricatural... Bien sûr, la caricature qu'il critique existe, peut-être est-elle sur-représentée dans certaines facs (parisiennes notamment?), mais pas vraiment généralisable. Il n'y a qu'à voir le débat Krugman/Mankiw auquel je fais référence, deux économistes qui sont plutôt bien dans le moule que dénonce Guerrien, mais qui n'en tombent pas pour autant dans les travers...
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L
Merci pour la confirmation.Il y a des points que tu critiquerai dans ce papier de Guerrien ?
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