L'industrie française a perdu pied...
Pierre Bilger recommande très vivement sur son blog la lecture de l'article d'Eric Le Boucher intitulé "L'industrie française a perdu pied". Pierre Bilger explique "De temps à autre, un article ou un livre, tant ils sont exacts et pertinents, n'appellent aucun commentaire, mais simplement un conseil: les lire".
Personnellement, j'aurais envie de dire "De temps à autre, un article ou un livre, tant ils sont exacts inexacts et pertinents affligeants, n'appellent aucun commentaire, mais simplement un conseil: les lire puis vite les oublier pour lire des choses plus intéressantes"...
Explications.
En gros, l'argumentation d'Eric Le Boucher est la suivante :
1er temps, le diagnostic : la France est en train de se désindustrialiser ("La France est en train de perdre pied en matière industrielle, régulièrement, insidieusement, sans que personne ne s'en alarme en haut lieu.")
2ème temps, les explications, en trois coups de cuillère à pot :
i) la faible compétitivité de la France, en raison "d'une bureaucratie paralysante" et, "il n'est plus possible de l'occulter, [des] 35 heures".
ii) l'incapacité de l'Europe à entrer dans l'économie de la connaissance. Rendez-vous compte, "Les pays émergents (Chine, Inde, Brésil, Russie) comptent près du double d'étudiants que l'Europe !"
iii) la déconfiture dans des secteurs importants comme l'automobile ("la sous-traitance des pièces se délocalise, il en sera de même des usines de montage"), l'aéronautique et les biotechnologies (ELR parle plutôt de "biotechnos", ce qui, vous en conviendrez, fait beaucoup plus branché et démontre à l'évidence qu'il sait de quoi il parle).
Sur le diagnostic, d'abord, rappelons que l'analyse de l'évolution de l'industrie doit se faire avec des pincettes :
i) l'emploi industriel recule fortement depuis les années soixante-dix, en raison principalement du phénomène d'externalisation, qui fait passer nombre d'activités préalablement comptabilisées dans l'industrie dans le secteur des services (j'en avais parlé ici)
ii) la production en valeur recule, mais ceci résulte pour une part importante des gains de productivité importants du secteur, plus que d'une désindustrialisation,
iii) pour preuve, la part de l'industrie dans la valeur ajoutée en volume, plutôt stable (légère baisse) depuis les années 1970 (24,2% en 1978, 22,3% en 2002 alors que la part dans le PIB en valeur a chuté de 26,3% à 17,8%).
Sur les explications, ensuite.
i) Faisons l'hypothèse (fausse) d'une désindustrialisation de la France. Sur ce, évaluons le pouvoir explicatif d'une responsabilité de la "bureaucratie paralysante" et des 35 heures. Problème : les calendriers s'accordent mal! Il me semble que les 35 heures n'ont pas été introduites dans les années 1970 ; la bureaucratie française date de beaucoup plus longtemps... Mieux aurait valu dénoncer mai 68, ce serait plus en phase (je ne désespère pas qu'Eric Le Boucher s'y essaye. Il conviendrait aussi qu'il explique assez vite la responsabilité des 35 heures dans le réchauffement climatique, qu'on arrête de dénoncer de faux coupables).
ii) sur le deuxième argument, la formule "Les pays émergents (Chine, Inde, Brésil, Russie) comptent près du double d'étudiants que l'Europe !" est savoureuse. Il serait bon de prendre en compte le fait que ces pays sont de taille paraît-il légèrement supérieure à celle de l'Europe, si bien que comparer le nombre d'étudiants est tout sauf pertinent. Qu'ensuite on s'interroge sur la capacité de l'Europe à entrer dans l'économie de la connaissance, pourquoi pas, mais il conviendrait de ne pas trop généraliser : la situation est très hétérogène selon les pays d'une part, selon les secteurs, d'autre part (certains secteurs français sont entrés dans une telle économie, et plutôt bien, depuis longtemps),
iii) sur l'automobile, l'hypothèse du tout est délocalisable et tout va se délocaliser est bêtement fausse dès que l'on creuse un peu (je ne m'étends pas, cf. les références infra, notamment l'ouvrage Colletis/Lung). Quant à sa proposition "Seule une montée en gamme de Renault et PSA permettrait d'en reculer l'échéance"... Mazette! Comment ne pas y avoir pensé plus tôt! Je lui propose de se lancer immédiatement dans le conseil en entreprise avec de telles formules, il va y faire fortune...
Bref, s'agissant des chroniques d'Eric Le Boucher, je suis plutôt en phase avec les propos d'Econoclaste au sujet de certaines de ses chroniques : "Le problème vient de cette façon de présenter tous les problèmes à l'aide de grands concepts globalisants qui favorise les idées fausses et les grands débats idéologiques et stériles."
Eric Le Boucher se désole en fin d'article des politiques qui n'ont pas pris conscience de l'effort à fournir. J'aurais plutôt tendance à me désoler de la tendance de nombre de politiques et de journalistes à apporter de mauvaises solutions à de faux problèmes...
Bref, si vous souhaitez vous faire une meilleure idée de la situation de l'industrie française, des problèmes qu'elle rencontre, des défis qu'elle doit relever, je vous recommande plutôt de regarder l'analyse approfondie de Gille Le Blanc, en complétant par l'ouvrage coordonné par Colletis et Lung, qui propose une analyse secteur par secteur des mutations industrielles.
Personnellement, j'aurais envie de dire "De temps à autre, un article ou un livre, tant ils sont exacts inexacts et pertinents affligeants, n'appellent aucun commentaire, mais simplement un conseil: les lire puis vite les oublier pour lire des choses plus intéressantes"...
Explications.
En gros, l'argumentation d'Eric Le Boucher est la suivante :
1er temps, le diagnostic : la France est en train de se désindustrialiser ("La France est en train de perdre pied en matière industrielle, régulièrement, insidieusement, sans que personne ne s'en alarme en haut lieu.")
2ème temps, les explications, en trois coups de cuillère à pot :
i) la faible compétitivité de la France, en raison "d'une bureaucratie paralysante" et, "il n'est plus possible de l'occulter, [des] 35 heures".
ii) l'incapacité de l'Europe à entrer dans l'économie de la connaissance. Rendez-vous compte, "Les pays émergents (Chine, Inde, Brésil, Russie) comptent près du double d'étudiants que l'Europe !"
iii) la déconfiture dans des secteurs importants comme l'automobile ("la sous-traitance des pièces se délocalise, il en sera de même des usines de montage"), l'aéronautique et les biotechnologies (ELR parle plutôt de "biotechnos", ce qui, vous en conviendrez, fait beaucoup plus branché et démontre à l'évidence qu'il sait de quoi il parle).
Sur le diagnostic, d'abord, rappelons que l'analyse de l'évolution de l'industrie doit se faire avec des pincettes :
i) l'emploi industriel recule fortement depuis les années soixante-dix, en raison principalement du phénomène d'externalisation, qui fait passer nombre d'activités préalablement comptabilisées dans l'industrie dans le secteur des services (j'en avais parlé ici)
ii) la production en valeur recule, mais ceci résulte pour une part importante des gains de productivité importants du secteur, plus que d'une désindustrialisation,
iii) pour preuve, la part de l'industrie dans la valeur ajoutée en volume, plutôt stable (légère baisse) depuis les années 1970 (24,2% en 1978, 22,3% en 2002 alors que la part dans le PIB en valeur a chuté de 26,3% à 17,8%).
Sur les explications, ensuite.
i) Faisons l'hypothèse (fausse) d'une désindustrialisation de la France. Sur ce, évaluons le pouvoir explicatif d'une responsabilité de la "bureaucratie paralysante" et des 35 heures. Problème : les calendriers s'accordent mal! Il me semble que les 35 heures n'ont pas été introduites dans les années 1970 ; la bureaucratie française date de beaucoup plus longtemps... Mieux aurait valu dénoncer mai 68, ce serait plus en phase (je ne désespère pas qu'Eric Le Boucher s'y essaye. Il conviendrait aussi qu'il explique assez vite la responsabilité des 35 heures dans le réchauffement climatique, qu'on arrête de dénoncer de faux coupables).
ii) sur le deuxième argument, la formule "Les pays émergents (Chine, Inde, Brésil, Russie) comptent près du double d'étudiants que l'Europe !" est savoureuse. Il serait bon de prendre en compte le fait que ces pays sont de taille paraît-il légèrement supérieure à celle de l'Europe, si bien que comparer le nombre d'étudiants est tout sauf pertinent. Qu'ensuite on s'interroge sur la capacité de l'Europe à entrer dans l'économie de la connaissance, pourquoi pas, mais il conviendrait de ne pas trop généraliser : la situation est très hétérogène selon les pays d'une part, selon les secteurs, d'autre part (certains secteurs français sont entrés dans une telle économie, et plutôt bien, depuis longtemps),
iii) sur l'automobile, l'hypothèse du tout est délocalisable et tout va se délocaliser est bêtement fausse dès que l'on creuse un peu (je ne m'étends pas, cf. les références infra, notamment l'ouvrage Colletis/Lung). Quant à sa proposition "Seule une montée en gamme de Renault et PSA permettrait d'en reculer l'échéance"... Mazette! Comment ne pas y avoir pensé plus tôt! Je lui propose de se lancer immédiatement dans le conseil en entreprise avec de telles formules, il va y faire fortune...
Bref, s'agissant des chroniques d'Eric Le Boucher, je suis plutôt en phase avec les propos d'Econoclaste au sujet de certaines de ses chroniques : "Le problème vient de cette façon de présenter tous les problèmes à l'aide de grands concepts globalisants qui favorise les idées fausses et les grands débats idéologiques et stériles."
Eric Le Boucher se désole en fin d'article des politiques qui n'ont pas pris conscience de l'effort à fournir. J'aurais plutôt tendance à me désoler de la tendance de nombre de politiques et de journalistes à apporter de mauvaises solutions à de faux problèmes...
Bref, si vous souhaitez vous faire une meilleure idée de la situation de l'industrie française, des problèmes qu'elle rencontre, des défis qu'elle doit relever, je vous recommande plutôt de regarder l'analyse approfondie de Gille Le Blanc, en complétant par l'ouvrage coordonné par Colletis et Lung, qui propose une analyse secteur par secteur des mutations industrielles.