Vive la faible technologie!

Publié le par Olivier Bouba-Olga

Tous les économistes (moi y compris) ou presque vous le diront : l'avenir économique d'un pays comme la France passe par l'innovation. Là  où je commence  à être moins d'accord, c'est lorsqu'on transforme  la proposition pour nous dire l'avenir d'un pays comme la France passe par  la haute technologie (c'est par exemple ce que préconise explicitement le rapport Beffa, cf. la section p. 18 et s.).

Car les deux propositions ne sont pas identiques : parler de haute technologie, c'est partir d'une approche sectorielle, en retenant comme secteurs clés ceux dont l'intensité technologique (rapport entre les dépenses de R&D et la valeur ajoutée ou la production) est élevée. Il y a donc au moins deux biais liés à l'assimilation innovation - haute technologie :

* l'innovation ne se réduit pas à la recherche : certaines entreprises dans certains secteurs de moyenne ou faible technologie sont très innovantes, sans s'engager pour autant dans des activités amont de R&D. Elles s'appuient sur leur expérience, bénéficient d'effets d'apprentissage, etc... (entreprises des districts industriels, je renvoie pour une illustration à Ma Mondialisation),

* l'entrée sectorielle est réductrice : certaines entreprises bien qu'appartenant à des secteurs de faible ou moyenne technologie s'appuient sur les avancées de la recherche (elles peuvent effectuer elles-mêmes des dépenses importantes de R&D ou nouer des partenariats avec des laboratoires privés/publics de recherche) et se positionnent sur des niches prometteuses. Pour illustrer ce point, je prends souvent l'exemple des textiles techniques, autrement dit d'entreprises d'un secteur de faible technologie (le textile-habillement) pourtant très innovantes (j'en parle un peu dans L'économie de l'entreprise (p. 127-128) pour illustrer la notion de diversification cohérente).

 Or, Le Monde  reprend cette idée dans un article daté du 02/01/07 intitulé "Le textile technique, vecteur de croissance dans un secteur sinistré". On y apprend que l'on fabrique des sièges de bus à partir de  Basalte (roche résistante au feu)  ou encore des coussins-réveil qui s'éclairent progressivement. Dans d'autres documents, j'avais lu que l'on pouvait fabriquer des nez d'avion et des pare-chocs de voiture à partir de textiles techniques ; ainsi que tout type de vêtement intelligent (combinaison  de pompier, vulcanologue,  vêtements sportifs, ...) et bien d'autres choses encore (cf.
ce document du Sessi sur la filière textile-technique en France qui contient de nombreuses illustrations).

On apprend également dans l'article du Monde que ...

... Contrairement à l'industrie du textile, en totale déliquescence depuis plus de dix ans - près de 60 000 emplois perdus -, le textile technique est en plein essor. Il enregistre une croissance de 4 % par an, selon le ministère de l'industrie. Et représente aujourd'hui 4 milliards d'euros de chiffre d'affaires, 20 000 salariés, et 1 043 entreprises de plus de 20 salariés. L'activité du textile technique représente 17 % de l'industrie du textile, hissant ainsi la France au deuxième rang des pays européens derrière l'Allemagne.

Bien sûr, le développement des textiles techniques ne permettra pas de créer autant d'emplois que ceux détruits dans le textile-habillement. Les qualifications demandées sont également plus importantes, ce qui pose la question de la formation des personnes. Mais c'est une voie des plus intéressantes pour lutter contre la concurrence des pays low cost dans ce secteur. Plus intéressante que la tentation protectionniste défendue par certains..

Publié dans Entreprise

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V
Et quelle entité surhumaine a décrété la fin des barrières protectionnistes? La suppression des barrières en question, c'est-à-dire la destruction programmeé de l'emploi des ouvriers qui n'auront qu'à s'adapter contrairement aux universitaires donneurs de leçons, ce sont les hommes politiques qui l'ont décidée: nulle fatalité là-dedans ni complot extra-terrestre, juste une décision qui correspond aux intérêts des actionnaires et de leurs séides.<br /> Au nom de quoi les ouvriers devraient-ils renoncer à des statuts qu'il a fallu des générations pour construire? Et pour quoi faire si c'est pour aller se faire exploiter dans le tertiaire? N'est-ce pas un phénomène étrange que ce soit justement à partir du moment où les ouvriers français et européens eurent obtenu des salaires décents et des conditions de travail correctes que le besoin subit d'abattre toute barrière douanière a survenu? Au nom de quoi les ouvriers, qu'ils soient français ou chinois, devraient-ils être traités comme des chiens?<br /> Vous le dîtes d'ailleurs vous-même avec un cynisme incroyable: face à l'exploitation éhontée des travailleurs chinois l'industrie textile est largement condamnée. En clair vous défendez des évolutions qui relèvent de choix politiques raisonnés et non de contraintes d'une économie que vouz érigez en transcendance devant laquelle les hommes n'ont d'autre choix que s'adapter, évolutions qui ne peuvent qu'amener des conséquences néfastes pour les travailleurs et français et chinois mais qu'importe tant que les investisseurs pourront se remplir les poches car c'est là la seule fin de l'ouverture totale des frontières. En défendant la suppression des barrières douanières vous défendez l'exploitation des travailleurs chinois et la destruction des statuts édifiés par les luttes des tavailleurs français, puisque vous ètes conscient des conséquences de ladite suppression et que tout ce que ça vous inspire c'est de dire que les gens qui s'opposent à votre expertise sont des cons qui n'ont qu'à s'adapter (mais s'adapter à quoi?) et que visiblemetn le sort des ouvriers chinois vous laisse souverainement indifférent (mais j'imagine que Monseigneur "pense à long terme" et qu'il sait qu"à ;long terme" le sort desdits ouvriers s'améliorera, et ce jour-là sans doute les emplois quiteront al Chine pour je ne sais où puisque c'est dans la nature des choses d'exploiter la misère humaine d'après sa Grandesse). Votre blabla me semble d'ailleurs explicite quant aux fins poursuivies par le libre-échange (que vous défendez, ne vous en déplaise): mettre les salariés (et non les entreprises), les coûts salariaux (c'est--àdire els salaires mais aussi les législations du travail, les systèmes d'entreaide type sécurité sociale...) et la fiscalité en concurrence afin de détruire ce qui a été construit par un siècle et demi de luttes ouvrières en Europe. La suppression des barrières douanières est issue d'une volonté politique, rien d'autre: nous n'avons donc pas à nous adapter à la force des choses contre laquelle on ne peut rien, comme vous invitez les ouvriers français (et non vous-même) à le faire.<br /> En outre les arguments du genre yaka développer les textiles techniques pour pallier le départ des textiles pas techniques sont purement absurdes car rien n'empêche de développer les textiles techniques tout en conservant les activités traditionnelles du textile. Mais le problème c'est que les fictions libre-échangistes sont de moins en moins crédibles au fur et à mesure que la précarisation, la dégradation des conditions de travail et tout ce qui s'ensuit touche des couches de plus en plus larges de la population française qui vous nourrit grassement, alors il faut bien diaboliser les méchants comme Todd qui ont le mauvais goût de ne pas hurler avec les loups. Le problème c'est que dans tous les pays les problèmes sociaux se sont accrus durant ces 20 dernières années, à des degrés divers mais partout il y a des problèmes y compris dans ces paradis où on sécurise le salarié et non l'emploi.<br /> Par ailleurs personne n'a dit que les problèmes économioques étaient exclusivement liés à al concurrence chinoise, cela étant ça en fait partie. D'autre part on peut aussi envisager les choses autrement que sous un jour strictement économique, d'abord en arrêtant de croire à des sornettes genre "faut s'adapter à des contraintes extérieures" quand ces contraintes résultent de choix politiques raisonnés, ensuite en édictant des normes sociales, salariales, fiscales, environnementales qui serviront de base à une politique de tarifs douaniers en considérant qu'ainsi on réduirait la pression sur le salariat des pays du Nord tout en incitant les entreprises qui investissent au Sud à respecter la dignité de leurs salariés, en cassant le gain qu'ils obtiennent en exploitant les travailleurs.<br /> Quoi qu'il en soit (et n'en déplaise à un ectoplasme dont j'ai oublié le nom), Monseigneur Bouba-Ola est mal placé pour donner des leçons de libre-échange et d'adaptation, d'ailleurs je constate que ma proposition d'insérer la corporation des universitaires (surprotégée de manière scandaleuse par des barrières statutaires qui empêchent la libre circulation planétaire des cerveaux) dans le sain flux de la conurrence mondiale et du darwinisme social n'a pas semblé l'intéresser. 
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O
@ Vulgos : je ne crois pas avoir parlé d'une quelconque loi universelle prouvant la supériorité du libre-échange sur le protectionnisme, je dis simplement que si l'on croît que les problèmes de la France (faible croissance, chômage important) résultent prioritairement de la concurrence chinoise, et que pour éliminer le problème on prône un protectionnisme vis-à-vis de ce pays, et bien, pour l'essentiel, on se trompe... Dans le cas chinois, de plus : le secteur textile-habillement est particulièrement exposé en France. Pourtant, on savait depuis 10 ans qu'il y aurait diminution des barrières protectionnistes (fin des accords multifibres). Précisément le genre de mesure que prône Todd. Est-ce qu'on a profité de ces 10 ans pour faire évoluer le secteur? Non (ou plutôt à la marge, il y a des entreprises qui font exception). Les accords viennent à échéance, et on nous dit : il faut mettre en place des barrières, sinon on arrivera pas à s'adapter... Ben voyons...
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V
"Plutot que de s'étendre défensivement sur les bénéfices du libre echange qui sont bien etabli, historiquement," Pas d'accord, ce n'est pas aussi simple. Je vous renvoie aux ouvrages de Bairoch par exemple. La question sur ce débat n'est pas "le protectionnisme est-il meilleur que le libre-échange ou l'inverse?", car cela revient à dire qu'il y a une panacée universelle, mais "à quel moment le protectionnisme est-il utile et à quel moment le libre-échange est préférable?" et plus particulièrement ici "le libre-échange est-il actuellement préférable pour la France?". Les économistes ont beaucoup de mal à se défaire de cette manière de penser, eux qui croient découvrir des lois naturelles universellement valables en tous lieux et en tous temps (ce que même les physiciens ne font pas). Il est amusant de constater qu'Oliver Bouba-Olga, qui par ailleurs lutte contre cette déformation professionnelle (je me souviens d'un de ses articles sur la banque mondiale), tombe ici en plein dedans. Il n'est pas le seul: http://econo.free.fr/scripts/faq2.php3?codefaq=14. Les faits : "Donc il n'y a pas historiquement de règle générale. Parce que tout simplement, la croissance dépend de la combinaison de tout un tas de facteurs" L'idéologie: "Pas de certitude historique, mais le protectionnisme est bien plus nu que le libre-échange. Parce qu'il ne détient aucun argument intellectuel, et que s'il est possible de trouver des pays protectionnistes qui se sont développés, cela ne prouve pas grand-chose."
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A
Juste deux remarques:-<br /> 1. Il me semble que toutes les études demontrent que la dégradation eventuelle de la position des moins qualifiés provient des changements technologiques et non du libre échange dont l'impact est finalement mineur.  On pourrait ajouter que dans le cas de la France notre "modele social" est particulierement pénalisant pour les non qualifiés et promeut le remplacement du travail par le capital.  Au contraire en permettant aux mpoins qualifiés d'accéder a des biens matériels moins couteux et avec plus de choix le libre échange favorise leur pouvoir d'achat.<br /> 2.Il ne faut pas refaire le coup de la déroute du TCE.  Plutot que de s'étendre défensivement sur les bénéfices du libre echange qui sont bien etabli, historiquement, theoriquement et meme en pratique, il vaudrait mieux que l'on retourne l'argument et que l'on demande qu'nous decrive ce merveilleux monde protectionniste et ses consequences.  Protéger quoi, qui, comment?  Le cheminement logique de cette proposition nous conduira a ergiger des barrieres de plus en plus hautes, non contre les biens, mais contre les hommes.  Si ils ne peuvent avoir de futur dans la production et l'echange, chez eux, lorsque le seul choix d'amélioration possible sera pour les 2/3 de l'humanité de migrer vers notre mirage protégé la seule industrie profitable sera le passage de frontiere par mafias interposées.  Cela mene a coup sur a des societes closes et probablement policiere en conflit avec le reste du monde.<br /> C'est le type meme de societe que nous cherchons a eviter au niveau national.  La peur et le repli sur soi.
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V
Merci pour votre réponse. Laissons de côté les effets négatifs du protectionnisme que vous citez. Je crois qu'ils peuvent être discutés (par exemple le développement des pays pauvres doit-il dépendre des exportations? Le coût des produits dépend-il uniquement du coût de la main d'oeuvre? etc) mais là n'est pas l'important ici. Le débat porte effectivement sur la protection des moins qualifiés. Et je ne vois pas bien ce que signifie la deuxième alternative "protection des salariés". S'il s'agit par exemple d'avoir des allocations de chômage conséquentes (plus qu'actuellement) cela pose des problèmes économiques (de compétitivité, de trappes, etc, que vous connaissez mieux que moi) et ne résoud pas non plus le problème social et psychologique que connaissent les gens qui perdent leur emploi. S'il s'agit de formations permanentes, cela revient à dire que les personnes moins qualifiées doivent devenir qualifiées. Cela ne résoud pas non plus le problème de ces personnes, si tant est qu'elles puissent effectivement se requalifier dans un autre métier ou simplement se qualifier. C'est leur demander de payer en effort d'éducation la politique économique d'ouverture. Il faut tenir compte de ce coût psychologique. "enfin, quand vous dites que les personnes peu qualifiées sont prêtes à perdre quelque points de croissance... je doute : ce sont elles qui voient leurs revenus stagnés voire décroître..." Je ne comprends pas ce passage. Les revenus des moins qualifiés stagnent ou décroissent effectivement mais quel rapport avec le protectionnisme puisque la politique économique est actuellement libre-échangiste? De plus, cela n'a pas de rapport non plus avec une perte de points de croissance puisque la croissance est là. A moins que vous ne vouliez dire, ce qui est un raisonnement bizarre, qu'il faut beaucoup plus de croissance et de libre-échange pour les aider alors qu'un peu de croissance et de libre-échangisme les pénalise? Par ailleurs, vous sous-entendez que le protectionnisme pénaliserait les moins qualifiés. En quoi? J'ai crû comprendre que la seule chose à peu près certaine c'est que la croissance nationale en pâtirait (et encore, l'histoire économique ne dit pas avec certitude que le protectionnisme entraînerait une croissance plus faible, encore moins une décroissance), non pas les revenus de cette catégorie de population. La perte de croissance pénaliserait ceux qui bénéficient du libre-échange, pas ceux qui en souffrent.
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