Pourquoi, mais pourquoi donc n'avons-nous pas de meilleurs journalistes ni de meilleurs politiques?

Quiconque s’intéresse un peu aux aspects économiques du monde qui l’entoure, sait que l’Allemagne souffre depuis plus de dix ans d’une pénible langueur. Depuis 1994, la croissance allemande n’a dépassé la croissance française qu’une seule fois, en 2006, et les prévisions pour 2007 suggèrent qu’il s’est agi d’une exception. En fait, depuis 1995, la production allemande a pris un retard d’environ 10 points de PIB sur celle de la France, soit grosso modo la production du Bade-Wurtemberg.
Mais que valent ces chiffres, fournis par Eurostat, face au n’importe quoi qui crève l’écran de la télévision ? Le dimanche 14 janvier, au cours de l’émission France Europe Express, sur France 3, une journaliste de France Info, Ilana Moryousseg, apparue en incrustation, a posé aux invités la question suivante (question d'un auditeur, un certain Francesco) :
« Pourquoi l'Allemagne, malgré le poids de l'ancienne Allemagne de l'Est, malgré l'Euro fort, réussit à avoir une croissance beaucoup plus élevée que la notre ? »
Tout est dans le « pourquoi », qui garantit la véracité de ce qui suit. Et nombre de téléspectateurs sont probablement allés se coucher dans la certitude d’une croissance française à la traîne, caractéristique d’un pays en déclin.
Deux invités ont d’ailleurs achevé de les en convaincre, Arnaud Montebourg (PS) et Michel Barnier (UMP), n’hésitant pas à répondre à une question saugrenue comme si elle était pertinente. Le premier a regretté que la performance allemande soit le résultat d’une « restriction sociale ». Le second, louant les réformes hardies qui favorisent évidemment la croissance allemande, a fini par s’écrier : « Pourquoi l’Allemagne réussit ? Parce qu’elle n’a pas les 35 heures ! ».
Barnier devait d’ailleurs s’illustrer quelques instants plus tard à propos de fiscalité. Montebourg s’était étonné que l’UMP, tout en défendant la valeur travail, souhaite alléger l’impôt sur les bénéfices des sociétés. Barnier répondit, riant lui-même en la formulant d’une ironie qui se voulait mordante : « Les milliers de Français qui payent l’impôt sur les sociétés seront heureux d’apprendre qu’il ne s’agit pas d’un impôt sur le travail !».
Aucun des journalistes présents n’a rectifié.
Si vous croisez Barnier, affranchissez-le. Avec ménagement.
Jean-François Couvrat
Les statistiques évoquées par Jean-François Couvrat sont facilement accessibles sur Eurostat. Regardons d'abord les taux de croissance du PIB réel de 1995 à 2007 pour la France et l'Allemagne (pour 2006 et 2007, ce sont des prévisions) :

Pour mesurer l'effet de ces écarts, on peut considérer que chaque pays part avec un PIB base 100 en 1995. En appliquant ensuite les taux de croissance observés, on obtient en 2007 un indice 135 pour la France et 123 pour l'Allemagne, bref, un écart de plus de 10 points...
On peut compléter (et nuancer légèrement) en regardant non pas le taux de croissance du PIB réel mais celui du PIB réel par habitant. Nouveau graphique :

Comme dit plus haut, apparemment, qu'un auditeur de France Info pose une question en s'appuyant sur un constat faux, ca ne gène personne : aucun journaliste présent sur le plateau n'a rectifié. Quant aux politiques, ils ont su échaffauder rapidement de belles (?) théories pour expliquer ... une contre-vérité...