économie du ticket de métro

Publié le par Olivier Bouba-Olga

Mardi 23 janvier 2007. Au programme de la journée, une conférence à l'ENS-LSH Lyon (en passant, merci encore à Alexis pour l'invitation et l'accueil!). Départ de Poitiers, arrivée gare de Montparnasse. Direction gare de Lyon en métro. Mince, plus de ticket. Solution : acheter un ticket au guichet. Prix à l’unité : 1,40€. Problème : la file d’attente aux guichets comme aux machines n’en finit pas…

Solution alternative : des vendeurs à la sauvette me proposent un ticket au tarif de 1,40€. J’achète ou pas ? Ils me proposent le ticket au même prix après tout. A bien regarder les gens autour de moi, beaucoup refusent. Peut-être ont-ils le temps d’attendre? Pourtant, ils ont l’air bien pressés, à voir comme ils trépignent en faisant la queue. S’ils refusent, c’est peut-être qu’ils pensent qu’on veut les arnaquer. Les billets doivent être faux. Où périmés. D’autant plus que, délit de faciès oblige, ils n’ont pas l’air français quinzième génération, ces vendeurs…

Ils auraient dû faire fac d’éco, ces voyageurs en transit, parce que, économiquement, ça se tient, ce petit commerce : si je n’ai besoin que d’un ticket, le fait de le leur acheter ou de l’acheter au guichet ne change rien pour moi. Si, de plus, je dois attendre pour accéder au guichet, je gagne à le leur acheter : le prix du ticket est le même, mais j’économise en temps d’attente, temps auquel je peux attribuer une valeur monétaire, correspondant au gain réalisé. De leur côté, les vendeurs à la sauvette achètent des carnets de tickets tarifs réduits (10,90€ le carnet de 10) et les revendent à l’unité plein tarif. Ils empochent donc un gain par ticket vendu de 0,31€ (=1,40 – 10,90/10), gain tout à fait légitime, puisqu’ils permettent aux voyageurs de ne pas perdre de temps. En fait, ces vendeurs ne font rien d’autre que me permettre d’économiser sur les coûts d’utilisation du marché du ticket de métro, coûts que les économistes qualifient de coûts de transaction.

Dès lors, pourquoi autant de personnes refusent-elles de leur acheter des tickets ? Parce qu’on ne les connaît pas, ces vendeurs à la sauvette, me direz-vous. Certes, mais c’est un peu court comme argument : vous ne connaissez pas non plus la personne au guichet qui vous vend un ticket… En fait, il y a une différence de taille : dans le dernier cas, ce n’est pas à une personne que vous vous adressez, mais à une institution (la RATP), institution en laquelle vous avez confiance. Plus que dans les vendeurs à la sauvette, en tout cas. L'acheter à ses derniers vous fait courir un risque (objectif ou non), auquel on peut attribuer également une valeur monétaire. Si on ne leur achète pas de ticket, c'est que l'on considère que le coût lié à ce risque est supérieur au gain de temps.

Si, maintenant, vous achetez, malgré tout, un ticket de métro à un vendeur à la sauvette (chose que je fais de temps en temps), et que vous êtes satisfait de la transaction (ça a toujours été le cas), vous avez de fortes chances de récidiver la fois d’après. Même si ce n’est pas le même vendeur à la sauvette. Car votre première expérience vous aura appris à faire confiance non pas au vendeur précis qui vous a vendu le ticket, mais au groupe formé par l’ensemble des vendeurs, groupe que l’on peut assimiler à une nouvelle institution, de nature plus informelle cette fois. Les interactions passées vous ont appris à leur faire confiance, le risque disparaît.

Dans tous les cas, on le voit, le marché du ticket de métro (c'est vrai des autres marchés) est tout sauf naturel. Il suppose, pour fonctionner, des règles du jeu clairement établies et acceptées par les participants. C’est un construit institutionnel (Douglas North définit précisément les institutions comme les règles du jeu dont les organisations sont les acteurs, ou encore comme "des contraintes d'origine humaine qui structurent les interactions entre les acteurs" (dans sa lecture pour le Nobel)). Et si l'on n’a pas confiance dans les institutions, ou si les institutions sont déficientes, le marché peut disparaître (pas toujours, j'y reviendrai à l'occasion)…

Bon, il y a une autre solution : acheter un carnet de ticket tarif réduit en gare de Poitiers. En général, il y a moins de monde...

Publié dans Divers

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R
Mon expérience est un peu moins positive : j'achète 5 tickets à un vendeur à la sauvette au tarif à l'unité. J'ai compris pourquoi, le vendeur m'a suivi des yeux pendant que je passais le tourniquet : l'un des billets, sur les cinq était non valide, ce que j'ai su plus tard. Il arrive aussi que le billet acheté dans un lot, soit réservé aux titulaires de réduction....Enfin, il faut le savoir, avant d'arriver dans le métro, il y a dans la gare Montparnasse à 30 mètres des automates, d'autres automates, certes un peu dans l'ombre où il n'y a jamais de file d'attente.
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O
...Vincent, les vendeurs à la sauvette sont des anciens employés de Pfizer ??<br /> Tu as le droit d'être aussi critique que tu le souhaites envers l'économie en tant que discipline, mais sache que les économistes ne sont d'accord sur rien ou presque. Donc, venir nous dire que " (...)journal de référence tout plein de journalistes diplômés de fac d'économie qui m'ont bien expliqué que (...)" n'a absolument aucun sens. On ne pas peut "les économistes pensent que", en revanche tu peux toujours dire tel économiste nous dis que etc...<br /> Ton petit coup de gueule est néanmoins tout à fait en cohérence avec le nom de ton blog...<br />  
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O
@ Vincent Carel : la valeur, en économie, ne se limite pas à la valeur monétaire... Oui les vendeurs vendent au même prix que la RATP, mais ils génèrent de la valeur parce qu'ils vendent plus rapidement. Autrement dit, le temps que vous ne passez pas à attendre aux guichets c'est du temps que vous pourrez consacrer à autre chose, de plus satisfaisant pour vous (activité économique, loisirs, etc.). Et c'est en cela qu'ils créent de la valeur. Le voilà, le caractère scientifique du blabla économique ;)
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J
Quelle idée ..<br />
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V
"Ils auraient dû faire fac d’éco, ces voyageurs en transit, parce que, économiquement, ça se tient, ce petit commerce : si je n’ai besoin que d’un ticket, le fait de le leur acheter ou de l’acheter au guichet ne change rien pour moi."<br /> Moi qui doutais du caractère scientifique du blabla économique, me voilà tourneboulé. En y réfléchissant bien il est vrai que 1,40 euros est égal à un euro quarante qui est égal à 1€40.<br /> A part ça Pfizer vient d'annoncer 15 milliards de dollars de bénéfices (c'est-à-dire quinze milliards de dollars, autrement dit 15 000 000 000$) et 10 000 licenciements (c'est-à-dire un dizième de son personnel, autrement dit "le travail c'est vraiment de la merde", maxime qu'on enseigne sans doute pas dans les facs d'économie mais qui est sans doute plus scientifique que des théories à la noix). Heureusement je paye très cher un abonnement au Monde, journal de référence tout plein de journalistes diplômés de fac d'économie qui m'ont bien expliqué que ça pouvait sembler un peu brutal mais que c'était parce que dans quelques années cette pauvre entreprise elle allait perdre ses brevets les plus lucratifs: je suppute qu'il fallait comprendre que l'entreprise licencie tous ces cons maintenant plutot que demain, sans doute pour pas avoir à en licencier plus après-demain. <br /> C'est beau ces grands esprits qui "savent" et qui "pensent à long terme". Coment qu'on fait pour être économiste?
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