économie du ticket de métro

Solution alternative : des vendeurs à la sauvette me proposent un ticket au tarif de 1,40€. J’achète ou pas ? Ils me proposent le ticket au même prix après tout. A bien regarder les gens autour de moi, beaucoup refusent. Peut-être ont-ils le temps d’attendre? Pourtant, ils ont l’air bien pressés, à voir comme ils trépignent en faisant la queue. S’ils refusent, c’est peut-être qu’ils pensent qu’on veut les arnaquer. Les billets doivent être faux. Où périmés. D’autant plus que, délit de faciès oblige, ils n’ont pas l’air français quinzième génération, ces vendeurs…
Ils auraient dû faire fac d’éco, ces voyageurs en transit, parce que, économiquement, ça se tient, ce petit commerce : si je n’ai besoin que d’un ticket, le fait de le leur acheter ou de l’acheter au guichet ne change rien pour moi. Si, de plus, je dois attendre pour accéder au guichet, je gagne à le leur acheter : le prix du ticket est le même, mais j’économise en temps d’attente, temps auquel je peux attribuer une valeur monétaire, correspondant au gain réalisé. De leur côté, les vendeurs à la sauvette achètent des carnets de tickets tarifs réduits (10,90€ le carnet de 10) et les revendent à l’unité plein tarif. Ils empochent donc un gain par ticket vendu de 0,31€ (=1,40 – 10,90/10), gain tout à fait légitime, puisqu’ils permettent aux voyageurs de ne pas perdre de temps. En fait, ces vendeurs ne font rien d’autre que me permettre d’économiser sur les coûts d’utilisation du marché du ticket de métro, coûts que les économistes qualifient de coûts de transaction.
Dès lors, pourquoi autant de personnes refusent-elles de leur acheter des tickets ? Parce qu’on ne les connaît pas, ces vendeurs à la sauvette, me direz-vous. Certes, mais c’est un peu court comme argument : vous ne connaissez pas non plus la personne au guichet qui vous vend un ticket… En fait, il y a une différence de taille : dans le dernier cas, ce n’est pas à une personne que vous vous adressez, mais à une institution (la RATP), institution en laquelle vous avez confiance. Plus que dans les vendeurs à la sauvette, en tout cas. L'acheter à ses derniers vous fait courir un risque (objectif ou non), auquel on peut attribuer également une valeur monétaire. Si on ne leur achète pas de ticket, c'est que l'on considère que le coût lié à ce risque est supérieur au gain de temps.
Si, maintenant, vous achetez, malgré tout, un ticket de métro à un vendeur à la sauvette (chose que je fais de temps en temps), et que vous êtes satisfait de la transaction (ça a toujours été le cas), vous avez de fortes chances de récidiver la fois d’après. Même si ce n’est pas le même vendeur à la sauvette. Car votre première expérience vous aura appris à faire confiance non pas au vendeur précis qui vous a vendu le ticket, mais au groupe formé par l’ensemble des vendeurs, groupe que l’on peut assimiler à une nouvelle institution, de nature plus informelle cette fois. Les interactions passées vous ont appris à leur faire confiance, le risque disparaît.
Dans tous les cas, on le voit, le marché du ticket de métro (c'est vrai des autres marchés) est tout sauf naturel. Il suppose, pour fonctionner, des règles du jeu clairement établies et acceptées par les participants. C’est un construit institutionnel (Douglas North définit précisément les institutions comme les règles du jeu dont les organisations sont les acteurs, ou encore comme "des contraintes d'origine humaine qui structurent les interactions entre les acteurs" (dans sa lecture pour le Nobel)). Et si l'on n’a pas confiance dans les institutions, ou si les institutions sont déficientes, le marché peut disparaître (pas toujours, j'y reviendrai à l'occasion)…
Bon, il y a une autre solution : acheter un carnet de ticket tarif réduit en gare de Poitiers. En général, il y a moins de monde...