Pôle de compétivité : retour sur le biais du localisme

Publié le par Olivier Bouba-Olga

[Ce billet est également en ligne sur Débat 2007, vous pouvez réagir ici ou là-bas]

Les trois principaux candidats ne s’opposent pas sur tout : il semble y avoir consensus autour des pôles de compétitivité, érigés en nouveau modèle de développement économique des territoires. J’ai déjà dit dans ce billet que si cette politique allait globalement dans le bon sens, elle souffrait de certaines limites importantes. J’ai notamment évoqué le biais du localisme : on prône le rapprochement sur un même territoire des acteurs de la formation, de la recherche et de l'entreprise, sans s'interroger véritablement sur les complémentarités existantes. Dans certains cas, elles existent, dans d'autres cas, on peut en douter… On pourrait prôner une autre stratégie de mise en place de réseaux d’innovation, avec un rôle essentiel dévolu à des structures d’interfaces, chargées de mettre en relation les entreprises d’un territoire avec les acteurs disposant de compétences complémentaires, où qu’ils soient localisés.

J’y reviens et je complète à la lumière d’un document de travail du CPER de Sharon Belenzon et Mark Schankerman (discussion paper n°6120, article payant), qui se focalisent sur les revenus liés à la vente de licences par des universitaires détenteurs de brevets. Les auteurs s’appuient sur les données d’une enquête auprès d’universités américaines sur la période 1995-1999. Ils s’interrogent notamment sur l’effet de l’existence d’objectifs de développement économique local sur les revenus générés par la vente des licences.

Résultat? Les universités qui incluent des objectifs forts de développement local génèrent 30% de revenus en moins par licence. L’existence de ces objectifs locaux n’influe pas sur le nombre total de start-up, mais conduit à l’émergence d’un plus grand nombre de start-up locales.

Il semble donc qu’en prônant le rapprochement des acteurs situés sur un même territoire, on réduise les performances globales tout en augmentant certaines performances locales (augmentation du nombre de start-up locales). Comme les collectivités ne font qu’une évaluation locale des dispositifs qu’ils mettent en place --les rares fois où ils font de l’évaluation-- elles seront satisfaites. A l’inverse, si les politiques voient se développer des relations non locales, ils n’aiment pas : certains élus poitevins, par exemple, s’inquiétaient récemment dans la presse du fait que 10% seulement des projets soutenus par le pôle de compétitivité MTA de Poitou-Charentes soient des projets locaux.

Une façon de comprendre une partie du problème consiste à partir de ce petit exercice de statistique : supposons que dans une région A il existe n acteurs, et dans une région B, m acteurs.

Première hypothèse, on « autorise » la mise en relation des acteurs mais seulement au sein d’une même région. Dans ce cas, le nombre de relations potentielles au sein de la région A est égal à n*(n-1)/2. Par exemple, pour 3 acteurs, on a 3 relations possibles = {(1,2) ; (1,3) ; (2,3)}. Pour 10 acteurs, 45 relations potentielles, etc… Pour la région B, m*(m-1)/2 relations potentielles. Le nombre total de relations pour les régions A et B est de :

K1 = n*(n-1)/2 + m*(m-1)/2

Supposons maintenant qu’on autorise la mise en relation de tous les acteurs, peu importe leur localisation. Le nombre de relations potentielles est alors de :

K2 = (m+n)(m+n-1)/2

On montre facilement que K2-K1 = mn : en « forçant » la mise en relation locale, on se prive de mn relations potentielles.

Il s’agit bien sûr de relations potentielles. La mise en place de structures d’interface peut être un bon objectif de politique économique, si elle permet d’accroître le nombre de relations effectives, qui sont essentielles à l’innovation et donc à la croissance, dès lors qu’on reconnaît le rôle de l’apprentissage par interaction (le interactive learning cher à un économiste comme Lundvall). Ces structures d’interface ont pour mission de réduire les coûts de la mise en relation, autrement dit une forme de coûts de transaction. En revanche, confier à ces structures la mission de développer des relations locales est manifestement une erreur.

Publié dans Territoires

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article
O
@ Michèle  : la division du travail, y compris à l'échelle internationale, a pour but de rationaliser le processus et donc de détruire moins de ressources pour créer un certain montant de richesses. En relocalisant, vous économiserez sur certains coûts de transport, mais dans tout un ensemble de cas vous perdrez en termes de coûts de production. Ne pas croire que relocalisation = moins de destruction de ressources...De plus, je parle ici des collaborations en termes de recherche. Personnellement, je travaille pas mal avec des gens de Bordeaux, Toulouse, Paris, Marseille, ... C'est que vous voulez m'interdire de me déplacer et m'obliger à travailler avec des picto-charentais??? mais s'ils ne travaillent pas dans les domaines qui m'intéressent, comment je fais, moi???
Répondre
C
<br /> <br /> <br /> <br /> <br />
Répondre
M
Vous dites<br /> <br />  <br /> <br /> « On montre facilement que K2-K1 = mn : en « forçant » la mise en relation locale, on se prive de mn relations potentielles. Il  s’agit bien sûr de relations potentielles. La mise en place de structures d’interface peut être un bon objectif de politique économique, si elle permet d’accroître le nombre de relations effectives, qui sont essentielles à l’innovation et donc à la croissance»<br />  <br /> <br /> <br />  <br /> <br /> C’est bien là le problème de votre propos. Vous restez dans une vision mécanistique des relations et de la croissance. Vous oubliez un élément essentiel : la croissance ne naît pas de rien et pèse de plus en plus sur notre environnement collectif. Au point qu’aujourd’hui c’est la survie de nombreuses populations qui est en jeu. Bref en n’introduisant pas l’élément environnemental dans votre réflexion, vous menez à penser que 1 + 1 + … = toujours plus. Or aujourd’hui, c’est de plus en plus de MOINS que cette vision produit.<br />  <br /> <br /> <br />  <br /> <br /> Personnellement et parce qu’on est devant un défi écologique sans précédant, dérèglement climatique, déplétion du pétrole, perte de la biodiversité, augmentation déraisonnable du déversement de produits polluants …, j’en passe, je prône, à contrario de votre vision, la relocalisation économique. Il faut avant tout retisser les liens locaux et c’est sur un territoire déterminé en interconnections avec d’autres qu’il faut agir.<br />  <br /> <br /> <br />  <br /> <br /> Celle-ci une  nécessité et une chance.<br />  <br /> Bien amicalement<br /> <br />  <br /> <br /> Michèle Gilkinet<br />  <br /> <br /> Présidente du GRAPPE<br />  <br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br />  <br /> <br /> http://www.grappebelgique.be<br />  <br /> <br /> <br />  <br />
Répondre