L'a-théorie de Nicolas Sarkozy...

Publié le par Olivier Bouba-Olga

sarkozy.jpgNicolas Sarkozy l’a affirmé le 29 juin 2007 : pour trouver les solutions au problème d'emploi et de croissance, "inutile de réinventer le fil à couper le beurre. Toutes ces théories économiques... moi-même, parfois je suis un peu perdu. Ce que je veux c'est que les choses marchent". Mieux vaut, selon lui, faire du "benchmarking", cette méthode qui consiste à regarder ce que font les autres pays.

 

Je passe sur le caractère populiste de cette déclaration (NS veut "que les choses marchent", sous-entendu, "les autres politiques veulent que les choses ne marchent pas"? ; il disqualifie également à l'avance les analyses de tous les intellectuels - très vendeur, tout cela... optimum avait posté un petit billet suite à ces déclarations, un brin énervé ; idem pour les éconoclastes, encore plus laconiques : c'est vrai qu'on peut difficilement faire pire...) pour me concentrer sur le benchmarking.

Le principe de base du benchmarking est aussi simple que puissant : il consiste à observer les performances d’un échantillon de pays, repérer le pays qui obtient les meilleures performances, puis identifier les mesures de politique économique qui sous-tendent ces performances, pour enfin les imiter.

 

En procédant de la sorte, on se débarrasse de toute accusation de biais idéologique : il ne s’agit plus de déduire de la théorie des préconisations en termes de politique économique, mais d’adopter une posture pragmatique (comme le répètent à l’envie certains leaders de l’UMP), en faisant parler les faits et en s’en remettant aux données pour légitimer son action.

 

Démarche séduisante, donc, mais qui pose de sérieux problèmes : il faut imiter le meilleur pays, certes, mais lequel choisir ? Les Etats-Unis ? Le Royaume-Uni ? L’Allemagne ? Le Danemark ? Le choix n’est pas si réduit que cela… Regardons les données, me dira-t-on. Certes, mais quelles données ? Les taux de croissance ? Les niveaux de vie ? Les taux de chômage ? La proportion de travailleurs pauvres ? L’évolution du solde commercial ? En fonction de l’indicateur utilisé, les résultats risquent d’être profondément modifiés… Une combinaison de ces données, pourrait-on proposer. D’accord, mais s’il s’agit de bâtir un indicateur composite, le problème n’est que déplacé : quels indicateurs élémentaires inclut-on ? Comment peut-on les pondérer ? Là encore, diversité des choix possibles et des résultats obtenus…

 

Et, en supposant que ces premiers problèmes soient réglés, il convient ensuite d’identifier les politiques explicatives de ces performances, ce qui est sans doute encore moins simple : dans l’ensemble des mesures prises, lesquelles ont été les plus déterminantes ? Quelle période d’observation faut-il couvrir ? Dans quelle mesure la reproduction de ces politiques est-elle pertinente dans un autre contexte institutionnel ? À une autre période ? etc.

 

Est-ce à dire que tout exercice de benchmarking est voué à l’échec ? Pas nécessairement. Disons qu’il existe un mauvais benchmarking, qui, au pire, est révélateur de l’incompétence de celui qui l’exerce (roulons à gauche puisque les routes britanniques sont les plus sûres), et au mieux, relève de la manipulation (définissons astucieusement l’échantillon de pays, les indicateurs de performance et les mesures de politique qui nous arrangent afin de dégager les conclusions auxquelles nous souhaitions parvenir) [1] .

 

Il existe aussi, potentiellement au moins, un bon benchmarking. Dans lequel le choix des indicateurs, des pays et des politiques à observer résulte d’analyses économiques approfondies. Dans lequel les résultats obtenus sont ensuite analysés à la lumière des théories économiques, pour mieux comprendre les enchaînements à l’œuvre, mieux identifier les complémentarités entre les politiques menées, et donc mieux évaluer la pertinence de la reproduction de certaines des mesures prises. Un benchmarking qui ne vise pas nécessairement à identifier le modèle optimal, mais à se comparer pour mieux se comprendre.

 

Bref, un benchmarking qui ne s’oppose pas aux théories économiques, comme le suppose Nicolas Sarkozy, mais qui les complète, qui en découle et qui les nourrit en retour.

 

 

[1] Je crains que les discours autour de la TVA sociale relèvent plutôt d’un mauvais benchmarking (par incompétence ou par manipulation ? Peut-être un peu des deux…).

Publié dans Politique

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S
Hi hi !J'aime bien la différence de tonalité et de contenu entre les commentaires du billet sur ce blog et ceux du même billet sur le libéblog... c'est farce !'me demande si ça induit des différence de perception (mesurables ???) chez les internautes...
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O
voui, je suis assez ... impressionné?... par les commentaires sur Libé. Je ne sais pas trop ce que cela traduit, bon, je cogite, je cogite...
E
A propos de benchmarking... savez-vous s'il existe des exemples "ailleurs" de mesure comparable au crédit d'impôt sur l'ISF si l'on investit dans une PME ? car enfin, cette mesure me semble être une incitation géante à la fraude fiscale : on crée une PME qui ne fait rien, on met fifille ou fiston à sa tête qui se rémunère à hauteur de 50 000 euros annuellement, on investit dedans chaque année lesdits 50 000 euros... et voilà ! pour papa, l'argent sorti du portefeuille est exactement le même, mais au lieu d'aller aux contributions il va au fiston... Mais je souhaite qu'un exemple exotique me montre combien j'ai tort de redouter le non-civisme de nos riches forces vives de la nation...
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R
Surtout pas de reflexion ni de theorie, faisons ce que font les autres.Dans un autre domaine, je viens de finir la lecture et la prise de notes de "la société pure" d'andré Pichot. Dans l'entre deux -guerres, ce qui se faisait partout, c'était la stérilisation des malades mentaux et des "déficients"... Pour sauvegarder la pureté du groupe, il n'y avait quà faire un bon "benchmarking" (merci pour le temre que je ne connaissais pas).
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F
Quand on entend les déclarations admiratives de Mr Sarkosy à l'égard des performances du Royaume Uni (et aussi des USA, bien qu'il soit devenu plus discret à ce sujet), j'ai des doutes sur un "benchmarking" qui prendrait en compte tous les modèles possibles. Je n'ai aucune notion d'économie comparable aux vôtres, Olivier, mais je sais lire et entendre (aux deux sens du mot). Tout ce que je lis et entends me porte à penser que nous nous dirigeons vers un système ultra-libéral à l'anglo-saxonne. La "flexisécurité", un joli mot qui cache quoi ? On veut nous vendre le "contrat unique" comme la panacée universelle. On voit ce qui se passe avec les amendements à l'Assemblée sur le "paquet fiscal". Je ne sais pas si je suis hors sujet en parlant de cela. Mais il me semble que l'orientation choisie est de nous aligner sur les pays anglo-saxons. "L'exception française (qui est de moins en moins "exceptionelle") n'est pas compatible avec la pensée neolibérale.
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O
Encore un bon article, ca devient agacant...Derrière le pragmatisme moderne supposé d'un Benchmark qui s'opposerait à l'idéologie des vieilles théories économiques, se pose effectivement la question des pays à comparer et des indicateurs de comparaison retenus.Au travers de ses diverses déclarations, on peut se douter que Sarkozy a en tête le modèle britannique. L'idéologie c'est un peu comme la gravité, elle est présente partout à des degrés différents.Le choix des indicateurs permettant de mener à bien l'analyse comparative (plus joli que "benchmark" ou "benchmarking") nous reseignera sur les arrières pensées idéologiques de notre Président.
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