La TVA sociale fait la une de l’actualité. Jean Arthuis défend l’idée depuis de nombreuses années, Nicolas Sarkozy et François Fillon la reprennent à leur compte et semblent vouloir avancer sur le dossier après 2008. D’où ce petit billet, pour avancer dans la compréhension du problème.
Le mécanisme dit de TVA sociale consiste à basculer une partie du financement de la Sécurité sociale des entreprises vers les ménages, via une baisse des cotisations patronales et une hausse simultanée de la taxe sur la valeur ajoutée. Du point de vue des finances publiques, ça ne change rien, il s’agit de financer d’une nouvelle façon la protection sociale. Croire que cela permettra de couvrir automatiquement les nouvelles dépenses du gouvernement est donc erroné, ou alors ce sera au détriment du financement de la sécurité sociale. Ce qu’en attend le gouvernement, en fait, c’est plutôt un avantage en termes de compétitivité – prix, que le journal Le Monde explique ainsi, reprenant sans doute l’argumentation de nos dirigeants : le « transfert de charges permettrait d'alléger le coût du travail en France, de taxer davantage les produits importés, notamment ceux en provenance des pays à bas coûts, tout en favorisant les exportations ». Cette présentation appelle déjà quelques commentaires :
* sur le premier point, effectivement, on aura automatiquement une baisse du coût du travail suite à la baisse des cotisations patronales,
* sur le deuxième point, en revanche, la présentation est fortement biaisée : on ne taxe pas « les produits importés, notamment ceux en provenance des pays à bas coûts » (j’adore ce « notamment ceux en provenance des pays à bas coûts »…), on taxe tous les produits. On attend simplement de la baisse du coût du travail un gain en terme de compétitivité prix pour les entreprises installées en France,
* sur le troisième point, idem, la baisse du coût du travail doit permettre aux entreprises qui exportent d’être plus compétitives en prix.
Bref, ce n’est pas une TVA sociale, c’est une TVA anti-délocalisations, comme nous le dit notre premier ministre. Cependant, pour que cela fonctionne,nous dit Jean-François Copé, il faut que "les entreprises jouent le jeu" et "baissent leurs prix" ; ce à quoi François Fillon ajoute : cette "TVA anti-délocalisations" ne serait pas appliquée si elle entraînait une hausse des prix pour les consommateurs. "L'essentiel, c'est de trouver des mécanismes qui nous assurent qu'il n'y aura pas d'augmentation des prix. Si la 'TVA anti-délocalisations' se traduisait par une augmentation des prix, alors naturellement elle n'aurait pas de sens et nous ne la mettrions pas en place". (je serais plus prudent : il est tout à fait possible que cette mesure n’ait pas de sens économiquement, mais qu’elle ait du sens politiquement, donc que le gouvernement la mette en place).
Quelques remarques sur les effets attendus.
La TVA sociale n’est pas une arme anti-délocalisations…
On nous dit que la TVA sociale va permettre de lutter contre les délocalisations. C’est politiquement astucieux, car la plupart des citoyens sont persuadés que le problème n°1 de la France, ce sont les délocalisations, et ils sont prêts à ce qu’on mette des barrières aux échanges vis-à-vis des pays pauvres (z’avaient qu’à pas être pauvres) pour lutter contre. Economiquement ça ne tient pas la route, car les écarts de coût sont tels que si une entreprise a décidé de délocaliser dans les PVD (Chine, Inde, PECO, …), ce n’est pas la variation attendue du coût du travail qui va l’en dissuader. Elle n’a pas de sens non plus, car comme expliqué à plusieurs reprises sur mon blog, le problème économique principal de la France n’est pas celui des délocalisations vers les pays en développement. Mais encore une fois, politiquemen, c'est vendeur.
…mais plutôt une arme anti-Europe
Eventuellement, la mesure a du sens vis-à-vis des pays de même niveau de développement avec lesquels nous échangeons (Allemagne, Royaume-Uni, Espagne, …). C’est d’ailleurs ce qu’a fait l’Allemagne, avec un certain succès, mais au détriment de l’Italie et de la France, notamment. Stratégie parfaitement opportuniste, soit dit en passant (je m'étonne d'ailleurs de l'admiration béate de certains à l'égard de la politique allemande), qu’on peut bien sûr vouloir tenter, mais on s’expose forcément à des mesures de rétorsion : si, après l’Allemagne, la France s’y met, tous les autres pays risquent de suivre, avec au final un jeu perdant/perdant. Vive l’Europe…
Des incertitudes sur la baisse des prix…
De plus, pour que cela marche, comme le souligne Jean-François Coppé, il faut que les entreprises traduisent la baisse des cotisations en baisse des prix. Or :
i) certaines entreprises peuvent décider d’accroître leurs marges en ne modifiant pas le prix de vente. On peut toujours espérer que les entreprises "jouent le jeu", mais si elles peuvent éviter de le jouer, elles le feront, en dépit des injonctions de nos dirigeants...
ii) d’autres entreprises qui ont des processus productifs peu intensifs en main d’œuvre récupéreront peu sous formes de baisse des cotisations, elles ne pourront donc baisser que relativement peu les prix de vente
iii) d’autres entreprises encore, qui fabriquent des produits dont le contenu en importations est élevé, ne pourront que difficilement baisser leurs prix,
On aura donc des effets différenciés selon les entreprises et les secteurs, avec un effet macroéconomique incertain. Aura-t-on nécessairement inflation ? Non, si les entreprises parviennent à comprimer les salaires, mais alors on aura perte en termes de pouvoir d’achat. Oui si les salariés parviennent à négocier des augmentations de salaires pour compenser la hausse des prix, mais c'est alors l'avantage en termes de compétitivité prix qui disparaît.
…et sur les effets quantités
Croire que cette réforme va permettre de réduire les importations et d’augmenter les exportations est un peu rapide, également : la TVA sociale, qui est assimilable à une dévaluation, en présente les inconvénients. Notamment, les effets sur les quantités importées et exportées dépendront de la sensibilité des acheteurs aux variations de prix (ce qu’on appelle les élasticités prix de la demande d’importation et d’exportation).
Si les élasticités prix des importations sont faibles, on continuera à acheter autant de produits étrangers, simplement on les paiera plus chers (ce sera le cas pour tout un ensemble de produits, à l’évidence). Idem pour les biens qu’on exporte et qui sont peu sensibles aux prix, pas d’effet volume à attendre. Là encore, donc, effet macro-économique ambigu.
De plus, c'est un très mauvais signal pour les entreprises
En favorisant la compétitivité prix, on incite les entreprises à adopter certains positionnements stratégiques, et on désincite à l’engagement dans des stratégies de compétitivité hors prix. Or, le problème essentiel de la France est celui de la qualité de sa spécialisation, trop sur le premier type d’activité, pas assez sur le second.
Plus généralement, en réduisant la question de l’avantage concurrentiel des firmes à celle des différentiels de coût du travail, on occulte l’importance d’une part des gains de productivité en vue de réduire les coûts salariaux unitaires (et des moyens de les soutenir : investissement en capital physique, humain, public, réorganisation des entreprises) et d’autre part des stratégies de différenciation/innovation pour sortir de la concurrence en prix.
Qui va perdre ?
L’instauration d’une TVA sociale va se traduire mécaniquement par une hausse des prix, à moins qu’on ne fasse pression à la baisse sur les salaires. Dans les deux cas, cela va peser sur le pouvoir d’achat de certaines personnes. Quelles personnes ? Avant tout les personnes à faible revenu qui consacrent l’essentiel de leur budget à la consommation de produits quotidiens qui seront taxés plus fortement. Ainsi que les personnes qui ont un faible pouvoir de négociation, et qui ne pourront pas obtenir de hausse des salaires pour compenser la hausse des prix (ou qui seront victimes de la compression des salaires), autrement dit une partie des salariés et les petits retraités.
On peut toujours se dire que les gains des uns compenseront les pertes des autres, mais ce seront plutôt des gains à court terme, susceptibles d’être annulés très rapidement (mesure similaire de nos partenaires zone euro, variation du change et/ou baisse des prix pour nos partenaires hors zone euro). Plus généralement, c’est l’économie française qui a toutes les chances d’y perdre, car l’instauration d’une TVA sociale risque de freiner l’évolution de la spécialisation de l’économie française vers des secteurs plus innovants, créateurs de plus de richesses et d’emplois et mieux à l’abri de la concurrence en coût.
Pour compléter, vous pouvez regarder l’avis de plusieurs économistes, sur lesquels je me suis appuyé pour rédiger ce billet (ordre alphabétique) :
Pour finir, je ne résiste pas au plaisir de vous présenter l’argumentation de Jean Arthuis, ancien ministre de l’économie et président de la commission des finances. Forcément compétent en économie, donc. Au journaliste qui l’interroge sur de possibles effets inflationnistes, il répond que les prix des produits fabriqués en France n’augmenteront pas, puisque la baisse des cotisations compensera la hausse de la TVA mais qu’en revanche les produits importés seront plus chers. Et là, asseyez-vous bien : « Mais ceux qui les font venir de l’étranger dégagent des marges telles qu’ils auront l’élégance de ne pas augmenter leurs prix de vente, concurrence oblige ». Je crois qu’il a perdu son dernier neurone, notre ancien ministre de l’économie. En tout cas, j’ajoute immédiatement une section à mon cours d’économie de l’entreprise intitulée l’élégance économique…