Made in Quality

Publié le par Olivier Bouba-Olga

Idée reçue souvent abordée sur mon blog : la désindustrialisation des pays développés, au profit des PECO ou des pays d’Asie, notamment la Chine.

L’enquête annuelle d’IBM sur les investissements industriels permet une fois de plus de balayer cette idée : en 2005, l’Europe a attiré 39% des investissements directs d’entreprises multinationales, contre 31% pour l’Asie. Ces projets d'investissements concernent trois types d'activité : la Recherche et Développement, les services aux entreprises (centres d'appels, centres de services partagés) et la production industrielle (usines, infrastructures, bâtiments et matériel). (informations vu ici).

L’Usine Nouvelle n°3023 du 21 septembre 2006 précise les résultats sur l’Europe : la France arrive en tête avec 21% de l’ensemble (253 implantations), suivie de la Pologne avec 12%, le Royaume-Uni 11%, la République Tchèque 7% et la Russie 6%. 

Bref, rien de nouveau sous le soleil (voir ici ) : la France reste très attractive. 

Soulignons cependant le commentaire du journaliste de l’Usine Nouvelle : « Malgré un coût du travail élevé, la France reste le pays européen préféré des investisseurs étrangers dans l’industrie ». Manifestement, la rationalité des décisions d’implantation lui échappe…à moins que ce ne soit du second degré, et qu’il souligne avec cette formule que le coût du travail n’est pas le déterminant premier. J’en doute.

Pourtant, pour mieux comprendre la rationalité des décisions des entreprises, il lui suffisait de lire le dossier publié dans… l’Usine Nouvelle, même numéro, même date, sur la « qualité sacrifiée ».

Explications :

 En 2001, 76 produits non alimentaires ont été rappelés dans l’UE, en 2005 : 701. Dernier exemple en date : les batteries d’ordinateurs Dell et Apple fabriquées par Sony, d’où un rappatriement respectivement de 4,1 millions (Dell) et de 1,8 millions d’ordinateurs (Apple). Pour les produits alimentaires, 133 rappels en 2000, 956 en 2005.

Pourquoi cette explosion des chiffres ?

Une partie de l’explication tient à l’accroissement des contrôles, au durcissement de la règlementation, à la pression des populations, etc. Mais ce n’est qu’une partie de l’explication.

Une autre partie tient aux choix productifs des entreprises : dans les industries d’assemblage, les entreprises peuvent décomposer la fabrication du bien en différents composants, les faire fabriquer par des sous-traitants, puis les assembler à l’étape finale. Afin de disposer de composants au moindre coût, certaines entreprises ont opté pour un « sourcing » lointain, notamment en Chine, bien sûr. Plusieurs avantages : i) le faible coût de la main d’œuvre, certes ; ii) les possibilités d’économies d’échelle : les sous-traitants agrègent les différentes demandes du marché et bénéficient de rendements croissants, le coût de production unitaire diminue donc ; iii) le report de l’incertitude sur les sous-traitants : en cas de mauvaise anticipation de la demande, le donneur d’ordre réduit les commandes aux sous-traitants, à charge pour ce dernier de s’adapter.

Sauf que, dans leurs petits calculs, les entreprises oublient de comptabiliser l’ensemble des coûts, notamment des coûts liés à la baisse de qualité :

« en 2005, près de 50% des produits qui présentaient un risque sérieux pour les consommateurs étaient importés de pays situés hors de l’Union Européenne » (Markos Kyprianou, commissaire européen, propos repris dans l’Usine Nouvelle, p. 14).

Or, la Chine concentre 44% des produits défectueux…Le responsable d’une entreprise basée à Hong-Kong ajoute :

« Dans la téléphonie mobile, les Européens réalisent des audits dans leurs usines sous-traitantes chinoises. Après leur départ, la qualité s’effondre. Dans ce pays, les salaires augmentent, le turn-over est immense, la main d’œuvre n’est pas qualifiée et son efficacité minimum si elle n’est pas encadrée » (idem, p. 14).

Bon, je ne prend pas pour argent comptant les propos de ce responsable de PME ; où plutôt je ne généraliserais pas comme il le fait (« dans ce pays »), mais il est clair qu’à côté des coûts de production, les entreprises oublient souvent de comptabiliser ce que l’on appelle des coûts de coordination/de transaction. Cet oubli explique les problèmes qualité évoqués. Il explique aussi en partie le fait qu’une part non négligeable des IDE effectués en Chine (ce n’est pas le seul pays concerné) se soldent par un échec (j’ai vu traîner un chiffre de 1/3 dans une étude Ernst & Young (je crois), je n’arrive plus à mettre la main dessus, si quelqu’un a ça sous le coude…).

Et, à l'inverse, lorsqu'elles intègrent l'ensemble des coûts (coûts de production + coûts de transaction), elles aboutissent parfois à la conclusion qu'une localisation dans les pays développés est préférable à une localisation dans les pays en voie de développement ... malgré un coût du travail élevé...

Dernier point, tout à fait essentiel, les positions des différents pays évoluent : les différentiels de salaires ont tendance à se réduire, car les gains de productivité dans les pays en développement se traduisent par des augmentations de salaires conséquentes (variables selon les pays, en fonction notamment des rapports de force entre les collectifs d'acteurs). Leur avantage initial a donc tendance à se réduire. A l'inverse, ces pays améliorent la qualité des biens fabriqués, cherchent à monter en gamme, s'engagent aussi dans des logiques d'innovation, etc (voir à ce sujet cet article sur le cas Japon/Asie). Toujours est-il que pour comprendre les choix effectifs de localisation, c'est l'ensemble de ces facteurs (et leur dynamique) qu'il faut prendre en compte, non pas seulement l'un d'entre eux. En se demandant à chaque fois comment on peut améliorer le positionnement des entreprises sur l'une ou l'autre de ces dimensions.

Publié dans Entreprise

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L
Liberoidal, tu n'as jamais lu mon blog :)Etant organisé par l'état, la mesure du nombre de brevet mesure le nombre de grands copains de l'état interventionniste plus que le nombre d'innovateur.
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L
Ici en particulier, je considère les brevets comme des sources de données, pas des biens, hein... vous savez, pour un libéral, un brevet, tel qu'on le conçoit aujourd'hui, c'est un monopole organisé par l'état
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L
Ah, alors le secteur est celui tres precis de "l'innovation electronique grand public".Il y a tres peu de francais qui brevettent en masse le clic de souris et la molette pour le volume ? Oui c'est tres tres mal en effet :).La freebox c'est aussi tres mal et pas innovant car fait en France et pas imité.
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L
Laurent Guerby: Comme souligné un peu plus haut, les données sont connues des employeurs du secteur de l'innovation électronique grand public, et des sociétés que ces entreprises contactualisent pour les études relatives.Par ailleurs, votre constat n'est nullement incompatible avec celui que je fais.On peut aussi éventuellement éplucher les bases de données de l'OEB pour y trouver des noms de citoyens français innovateurs du secteur et s'intéresser ensuite à leur cursus.
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L
Libéroïdal, je suis très surpris par vos affirmations sur la relative faiblesse de la formation en informatique et électronique, mes amis ingénieurs dans ce domaine avec leur diplome français n'ont aucun problème à l'étranger quand ils veulent y aller pour travailler (et vraiment partout dans le monde). Des données ou anecdotes ? (Bien sur on peut avoir le diplome et être une buse ...)Du temps de mon diplome (délivré en 1996), mon école imposait déja une expérience professionnelle d'au moins trois mois à l'étranger et la maitrise de deux langues étrangères pour qu'un élève ait le diplome. Je suppose que cela c'est généralisé depuis.
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