Xynthia, l'Etat et la confusion des temps
Initiative intéressante d'Universitaires picto-charentais, qui ont publié cette tribune dans Marianne :
Depuis le 28 février 2010 et le passage de la tempête Xynthia sur le littoral du Centre-Ouest, l’Etat s’est légitimement emparé de la question de la sécurité des zones côtières. Peu importe que bien des villages soient le résultat d’une lente observation de la nature et des manières d’en tirer parti. Peu importe que les défenses contre la mer aient été abandonnées depuis des décennies. La « cuvette » de La Faute sur mer, avec ses lotissements balnéaires de maisons récentes et de plain-pied, a décidé d’une ligne dure et de la destruction programmée des zones bâties concernées.
Munis de cette « feuille de route », les préfets se sont livrés, en toute hâte, à un déni de méthode scientifique, pour déterminer les zones « noires » devenues « zones de solidarité ». En dépit du caractère sensible de la commande, les organismes gouvernementaux impliqués (CETMEF, CETE et DREAL), certains de création récente, ne communiquent ni sur les données, ni sur la méthode, ni sur les critères utilisés et encore moins sur leur participation à l’expertise initiale. Les chercheurs des universités régionales qui ont derrière eux des années d’études du territoire concerné, une expertise connue et reconnue, n’ont été quant à eux ni officiellement, ni officieusement consultés. Durant le mois qu’a duré l’enquête coordonnée par la Direction Départementale Terre et Mer, un dossier à charge sans le moindre élément contradictoire, a été instruit. Cette ignorance de la communauté scientifique n’est malheureusement pas une première dans l’histoire récente.
Ailleurs, après les inondations qui ont endeuillé les Pays-Bas en 1953, la communauté scientifique néerlandaise a été mobilisée et, de manière contradictoire, des experts japonais, habitués à lutter contre les colères de la mer (tsunami est un mot japonais) ont été consultés. C’est que le risque doit être envisagé sous toutes ses formes. Le géologue, spécialiste des mouvements de matériaux (sable, vase) et des modifications du trait de côte, travaille à l’échelle du demi-siècle. L’historien du climat étudie la variation du niveau de la mer ainsi que la fréquence et l’intensité des tempêtes, à l’échelle du siècle. Le géohistorien maîtrise l’adaptation des communautés du littoral aux dangers venus de la mer, à l’échelle chronologique. Il fait le lien entre la mémoire des habitants et les archives, le matériau de l’enquête historique. A plus court terme, des aménageurs, des hydrauliciens océanographes et des ingénieurs, sans oublier les spécialistes du droit du littoral, ont aussi leur mot à dire.
L’Etat a demandé à des spécialistes de l’organisation des secours, les services de la Préfecture, de remplacer en toute hâte la valeur de l’expertise collective des scientifiques. On s’est livré, à huis clos, à une totale confusion des temps. Ignorés le temps du géologue, celui du climatologue, celui de l’océanographe et celui de l’historien : tout a été mélangé et rapporté au temps médiatique, pour répondre à une commande simple, en dépit de l’extrême complexité de la question.
Venu clore une période marquée par ces malentendus, M.J-L.Borloo, Ministre de l’Ecologie, s’est adressé aux maires des communes sinistrées. Il fait référence à la nécessité d’une « expertise complémentaire ». La communauté scientifique, régionale, nationale et même internationale, n’imagine pas être exclue à nouveau des instances qui en seront chargées.
Thierry SAUZEAU – Géohistoire du littoral (Université de Poitiers) ; Jacques PERET – Géohistoire du littoral (Université de Poitiers) ; Eric CHAUMILLON – Géologie Marine ; Xavier BERTIN – Océanographie côtière