Recherche publique : Paris et le désert français?
A peu près tous les économistes convergent sur l’idée suivante : la croissance économique de la France doit se nourrir de l’innovation, l’innovation se nourrit elle-même, pour partie au moins, d’une activité amont de recherche (privée et publique), accroître l’effort financier et améliorer l’organisation de la recherche est donc tout à fait essentiel.
Bref, que ce soit côté ressources ou côté résultats, le poids de l’Ile de France est bien supérieur à son poids dans la population, l’emploi ou la production de richesses. Ça ressemble un peu, côté recherche, à du « Paris et le désert français »…
Sauf que ces chiffres, d’un point de vue économique, n’ont pas beaucoup de sens : en effet ce qui compte, plus que la concentration spatiale de la recherche, c’est son efficacité. L’enjeu n’est donc pas de mesurer la production scientifique des régions, mais leur productivité. Or, on la mesure rarement. Un seul exemple, l’ouvrage de l’Observatoire des Sciences et Techniques (OST), groupement d’intérêt public créé en 1990, qui « a pour mission de concevoir et de produire des indicateurs quantitatifs sur la R&D pour contribuer au positionnement stratégique de la France en Europe et dans le monde, et à l'analyse des systèmes de R&D ». J’ai sous les yeux l’édition 2002 : le chapitre 2 est consacré aux régions françaises, on y analyse côté recherche publique (1) les ressources humaines et financières (1.1), la production scientifique mesurée par les publications (1.2) puis l’enseignement supérieur et les thèses soutenues (1.3). A chaque fois, c’est le poids des régions qui est mesuré (l’Ile de France arrive dès lors toujours en tête, et très largement). On s’approche quelque peu d’un indicateur de productivité en rapportant la production à la population, mais c’est un piètre indicateur de productivité, car la population n’est pas assimilable à un input de l’activité de recherche (on trouve le même problème dans les comparaisons des niveaux de productivité entre pays ou régions, lorsqu’on utilise comme indicateur les PIB par habitant).
Je me focalise ici sur la première série de résultats (tableau 14, page 41), qui rapporte la production de la recherche aux dépenses de R&D. Les auteurs ont calculé un indice de productivité relative : on divise la productivité de chaque région par la productivité nationale. Si l’indice est égal à 1, cela signifie que la productivité de la région considérée est égale à la productivité nationale, si l’indice est supérieur à 1, la productivité est supérieure à la productivité nationale, etc.
Concentrons nous sur le premier indicateur de productivité, qui correspond au ratio nombre de publications sur dépenses de R&D. Résultat pour l’Ile de France : l’indice pour les publications est égal à 0,94, soit une sous-productivité de 6%. Il est en revanche égal à 1,10 pour les citations, mais inférieur à 1 pour tous les autres indicateurs.
Pour compléter l’analyse, j’ai construit un indice composite, égal à la somme des six indicateurs élémentaires de productivité. Pour faciliter l’interprétation, j’ai divisé la somme par 6, puis multiplié le tout par 100 : une valeur de 100 indique une productivité synthétique relative égale à la moyenne, une valeur supérieur à 100 une sur-productivité, une valeur inférieure à 100 une sous-productivité. On obtient les résultats suivants :
Région | Poids dans les dépenses de R&D | indice synthétique de productivité |
Ile-de-France | 39,15% | 98 |
Rhône-Alpes | 10,67% | 133 |
Provence-Alpes-Côte d'Azur | 7,71% | 84 |
Midi-Pyrénées | 6,93% | 74 |
Languedoc-Roussillon | 6,03% | 61 |
Bretagne | 3,60% | 118 |
Aquitaine | 2,97% | 106 |
Nord-Pas-de-Calais | 2,75% | 128 |
Alsace | 2,66% | 138 |
Pays-de-la-Loire | 2,62% | 123 |
Lorraine | 2,55% | 113 |
Centre | 1,82% | 129 |
Auvergne | 1,18% | 136 |
Poitou-Charentes | 1,16% | 116 |
Bourgogne | 0,92% | 156 |
Basse-Normandie | 0,89% | 145 |
Haute-Normandie | 0,84% | 194 |
Picardie | 0,64% | 239 |
Franche-Comté | 0,64% | 227 |
Champagne-Ardenne | 0,54% | 171 |
Limousin | 0,43% | 151 |
Résultat plutôt intéressant : en dehors de Rhône-Alpes, les plus grandes régions en termes de dépenses de R&D (Paris, bien sûr, mais aussi PACA, Midi-Pyrénées et Languedoc-Roussillon) ont un indice faible. On a du mal à voir les effets positifs de la concentration spatiale des dépenses… Des petites régions comme la Picardie ou la Franche-Comté obtiennent en revanche les meilleurs scores.
Est-ce à dire qu'on a une nouvelle version du "small is beautiful" (les petites régions sont plus productives que les grandes)? Pas sûr, si on s'en tient au graphique suivant, construit en excluant l'Ile de France, sur lequel on observe plutôt une courbe en U (en abscisse le poids des régions et en ordonnée l'indicateur synthétique de productivité) :
Précision supplémentaire, relative à l’ensemble des résultats précédents : la sous-productivité de certaines régions pourrait s’expliquer par des biais disciplinaires, il conviendrait donc de compléter l’analyse. Bon, mais disons qu'on a avec ces statistiques de premiers éléments assez intéressants conduisant à une conclusion plutôt contre-intuitive...