La France n'est pas gaie
Rappelez-vous, c’est ce que nous a affirmé Attali, et c’est, selon lui, une cause importante de nos difficultés économiques :
«Un des principaux freins à la croissance française, c'est que la France n'est pas gaie, et un psychiatre mieux que personne peut nous expliquer pourquoi la France n'est pas gaie»Pour valider/invalider la théorie d'Attali, il faut vérifier i) que la France n'est pas gaie, ii) que la croissance dépend positivitement de la gaitée d'un pays. On peut douter sur les deux points.
Sur le premier point, d'abord, on dispose des enquêtes Eurobarometer menées depuis le début des années 1970 auprès des citoyens de l’Union. L’une des questions posées est une proxy pas trop mauvaise pour juger de la gaieté des citoyens :
D'une façon générale, êtes-vous très satisfait, plutôt satisfait, plutôt pas satisfait ou pas du tout satisfait de la vie que vous menez ?J’ai repris les résultats pour la France et pour l’UE, en additionnant la part des personnes très satisfaites et plutôt satisfaites, et j'ai obtenu ça :
On ne peut pas dire que les écarts sont très importants. Le score de la France est inférieur de 10 points à la moyenne de l’UE sur la fin des années 1970 et de 1991 à 1996, sinon il est très proche, et même supérieur depuis 2004.
Sur le deuxième point : on peut se réfèrer à un document de travail du NBER (2007, WP12935, €) dont je vous avais déjà parlé, rédigé par Blanchflower et Oswald, qui montrait notamment que le niveau de bonheur décroît aux Etats-Unis en fonction des générations de 1900 à nos jours, alors qu’en Europe, il décroît jusqu'à la génération 1950, mais il augmente depuis, si bien que les plus heureux sur terre sont les européens (les hommes plus que les femmes) nés après 1980. Difficilement compatible avec les différentiels de croissance observés.
Je me suis également "amusé" à construire un nuage de point avec en abscisse la part des français très satisfaits/plutôt satisfaits de leur vie (source : les enquêtes Eurobarometer analysées plus haut) et en ordonnée le taux de croissance du PIB (source : Insee), pour la période 1973 - 2007. Voici le résultat :
Pas très probant, comme relation : des taux de croissance très différents peuvent être associés à un même niveau de gaité et réciproquement. Bon, on doit pouvoir raffiner les tests, mais jusqu'à preuve du contraire, la "théorie" d'Attali ne semble pas très solide...