LRU

Publié le par Olivier Bouba-Olga

Beaucoup d'agitations dans les universités autour de la loi LRU, avec des arguments  parfois  (souvent) à côté de la plaque, selon moi. Jean-Pierre Gesson, Président de l'Université de Poitiers, nous a transmis une lettre ouverte, qui permet de recadrer le débat. Je vous la livre ici, sans plus de commentaires :
 
Madame, Mademoiselle, Monsieur,
Cher(e) collègue,
Cher(e) étudiante,

De l’avis général, la formation, la recherche et l’innovation vont occuper à l’avenir une place de plus en plus importante dans notre pays. Dans ce contexte, nous sommes nombreux à attendre depuis des années une loi donnant aux universités des capacités accrues de développement. Des capacités accrues, c’est-à-dire une organisation d’un autre ordre, un mode de fonctionnement différent, mais aussi des moyens financiers et humains renforcés, car nous ne pouvons plus accepter que la dépense consacrée en France pour un étudiant soit inférieure à celle qui est réservée à tout autre bénéficiaire du service public de l’enseignement, avant comme après le baccalauréat.

 La loi « Libertés et Responsabilités des Universités » (LRU) a été promulguée le 11 août 2007. Dans le code de l’éducation -code qui rappelle (chapitre III du Livre Premier) les objectifs et missions du service public de l’enseignement supérieur auxquels nous sommes tous très attachés- elle modifie un certain nombre d’articles issus de la loi du 26 janvier 1984.

Cette loi suscite aujourd’hui des discussions, des inquiétudes, des résistances. Les UFR de lettres et langues et de sciences humaines et arts sont « bloquées » depuis plus d’une semaine et une grande partie des enseignements ne peuvent y avoir lieu. J’ai donc décidé de vous écrire cette lettre, d’abord pour corriger quelques erreurs qui circulent, ensuite pour vous donner mon sentiment personnel sur cette loi : sans doute ne répond-t-elle pas pleinement aux attentes de la communauté universitaire, mais il est clair que l’immobilisme ouvrirait une voie royale à tous ceux (personnes et établissements privés) qui souhaitent, eux, afficher d’autres modalités de gouvernance et de fonctionnement, et réaliser tôt ou tard des projets concurrentiels.

*

En ce qui concerne l’information sur la loi, il est important que le débat qui s’est engagé à son propos (ou à partir d’elle) ne se perde pas sur de fausses pistes : le texte de la loi LRU ainsi que celui de la loi de 1984 et un relevé des différences entre les deux textes figurent désormais sur notre site (http://www.univ-poitiers.fr). La simple lecture de ces textes devrait permettre d’en finir avec certaines craintes fortement exprimées :

- cette loi ne modifie rien quant au principe de la non sélection à l’entrée à l’université. Elle réaffirme au contraire la possibilité pour chaque bachelier de s’inscrire dans la filière de son choix. Elle demande seulement que l’université puisse conseiller utilement le candidat à ce choix (procédure déjà mise en place dans notre université à la dernière rentrée universitaire) ;

- cette loi ne modifie rien quant à la fixation des droits d’inscription, définis nationalement et par arrêté ministériel. Elle n’ouvre pas plus le droit pour une université de décider, toute seule, localement, de droits d’inscription particuliers.

- cette loi ne modifie rien quant au monopole de la collation des grades et diplômes exercé par l’Etat. Les filières de formation offertes par une université continueront donc d’être décidées à l’issue de la négociation entre l’université et le ministère (contrat quadriennal). La loi LRU ne change rien à ce mécanisme, qu’elle renforce au contraire par la place centrale désormais réservée au contrat dans la loi.

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Quels sont donc les points sur lesquels la loi LRU apporte des changements ?

Le président : la loi fait-elle vraiment de lui un super manager doté de tous les pouvoirs ? La lecture comparée du texte de la loi de 1984 et de celui de 2007 ne permet guère de l’affirmer. Au demeurant, j’ai observé que le CA, et c’est une nouveauté, exercera désormais un contrôle sur ses actions et ses décisions. Certes, et c’est là la principale modification, aucune affectation (sauf pour ce qui concerne de l’affectation des agrégés de l’enseignement supérieur) ne peut désormais être prononcée s’il émet un avis défavorable motivé. Ce pouvoir inquiète… et j’estime pour ma part qu’il aurait été sage de le laisser entre les mains du conseil d’administration… mais j’observe que les directeurs d’IUT, qui disposent d’un pouvoir similaire depuis de nombreuses années, ne l’ont quasiment jamais utilisé (une seule fois en quinze ans à Poitiers) !

Le conseil d’administration : il comptera 30 membres à l’université de Poitiers, avec des proportions de représentation pas si éloignées de celles de la loi de 1984. La représentation des étudiants, certes, va se trouver diminuée (14/60 dans le précédent CA contre 5/30 dans le nouveau) mais la présence de suppléants permettra d’assurer une présence effective plus forte (actuellement, la présence des élus étudiants au CA est de l’ordre de 50 %). Un regret : la diminution relative des élus BIATOSS compte tenu de leur implication dans la vie de l’établissement, diminution que compense imparfaitement la création d’un Comité Technique Paritaire. Quant aux 8 personnalités extérieures au lieu de 12 actuellement (dont, chez nous, 3 des collectivités, désignées par elles), elles ne pourront, à l’évidence, exercer aucune mainmise sur le CA : 73 % des membres de notre CA seront des personnels ou des usagers de notre université !

La grande nouveauté m’apparaît être la suppression des secteurs pour l’élection des membres du CA : l’élection se fera sur un projet pour l’établissement, non sur la représentation des composantes : à nous d’éviter les déséquilibres et de faire en sorte que le projet retenu par les électeurs prenne en compte la communauté tout entière.

Les compétences nouvelles : les universités vont devoir assurer la responsabilité de la masse salariale et de la gestion des ressources humaines dans un délai de 5 ans. La loi a prévu des garde-fous : plafonds de cette masse salariale, plafonds des emplois Etat et des emplois de contractuels… Les spéculations sur des recrutements « massifs » de contractuels sont donc fort peu fondées. Dois-je rappeler que nous payons actuellement sur ressources propres 74 emplois « gagés » et 130 contractuels, hors recherche (doctorants, ATER), pour environ 900 emplois Etat ? 

Les « comités de sélection » : ce point est plus préoccupant. Quel sera le mode de fonctionnement de ces « comités » qui se substituent aux commissions de spécialistes ? La loi de 1984 ne disait rien sur ce point et les choses seront précisées cette fois encore par voie de décret. A titre personnel, je serais très favorable au maintien de commissions internes, élues, nécessaires pour traiter des dossiers scientifiques (avis sur la soutenance et les jurys de doctorats et d’HDR, avis sur les promotions locales …). Pour le reste, il nous appartiendra de définir les modalités de mise en place des comités de sélection qui devront, bien naturellement, être majoritairement constitués (comme la loi l’indique) de spécialistes de la discipline, et pour moitié d’extérieurs (et cela dans le respect de deux exigences : que le dispositif garantisse la compétence scientifique des membres de ces comités et que leur mode de désignation soit pluriel pour éviter tout arbitraire).

La modulation des services des enseignants-chercheurs et des enseignants est autre source d’inquiétude. Il ne s’agira pas pourtant d’une mise en concurrence mais bien d’une reconnaissance des activités de chacun qui combinent de façon très variable les missions d’enseignement, de recherche et d’administration. Nier l’évidence revient à dévaloriser certaines missions par rapport à d’autres ce qui est préjudiciable à la fois aux personnels concernés et à l’établissement. Bien entendu, la définition des services ne pourra résulter que de procédures équitables prenant en compte les objectifs individuels des enseignants-chercheurs et les besoins de l’établissement. 

Les mêmes inquiétudes sont relatives à l’attribution des primes qui doivent relever de procédures similaires. L’Université de Poitiers a atteint cette année son objectif de rattrapage du niveau des primes entre catégories de personnel des différents corps. Il est bien entendu qu’une politique de primes ne peut aboutir qu’avec l’assentiment des personnels.

Fondation ? Sur ce sujet, je suis favorable, pour ma part, à la création (en partenariat avec des établissements voisins ?) d’une fondation d’université qui serait une fondation reconnue d’utilité publique, sans personnalité morale, c’est-à-dire avec un pilotage assuré par l’université. Elle aurait pour objectif de soutenir le développement de l’ensemble de l’université, mais il est bien évident que les financements qui peuvent être obtenus par ce canal ne peuvent être que très modestes par rapport au budget global de l’université. 

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Naturellement, nous sommes tous bien d’accord sur un point : l’ « autonomie » ne doit pas se traduire par un désengagement de l’Etat et nous devons continuer de tenir un discours soulignant la nécessité de mener en parallèle le chantier de la réforme et le renforcement des moyens publics attribués aux universités. La loi LRU doit s’accompagner d’un investissement accru de l’Etat. A ce sujet, le bureau de la Conférence des Présidents d’Université CPU) a été reçu hier par F. Fillon. Il a été proposé que la CPU signe dans les prochains jours un accord (entre elle et le gouvernement) visant à acter concrètement l'engagement pluriannuel de l'Etat sur les moyens (le soutien financier de l’Etat aux universités sera de 1 milliard d’euros par an durant 5 ans). Le budget de l’enseignement supérieur sera donc de 11 milliards d’euros en 2008, de 12 en 2009, etc., jusqu’à atteindre 15 milliards d’€ en 2012. La loi de finances 2008 en cours d’adoption au Parlement s’inscrit dans cette perspective.  

Notre université va être néanmoins particulièrement attentive au financement du « plan licence ». L’objectif inscrit comme première priorité dans notre projet de contrat quadriennal (2008-2011) est précisément l’amélioration de l’encadrement et de la réussite des étudiants inscrits en licence : nous avons demandé plus d’accompagnement dans le parcours étudiant, des volumes horaires plus importants dans les maquettes les plus basses, ce qui concerne principalement le domaine des Sciences humaines et Arts et celui de Lettres et Langues.

C’est aux collègues et aux étudiants de ces deux facultés, aujourd’hui inquiètes de leur avenir, que je voudrais plus particulièrement m’adresser pour finir : la loi n’est nullement dirigée contre leurs disciplines et l’université entend bien continuer de tirer sa force de sa pluri-disciplinarité. Le très gros programme d’investissement immobilier prévu dans le cadre du Contrat de Projets Etat-Région 2007-2013 fait une place importante à la rénovation des locaux de l’Hôtel Fumé, à la bibliothèque du campus nord, à la création d’un pôle musique et danse en centre ville. Cet investissement est le signe de la confiance que notre université continue d’avoir dans ces domaines qui n’occupent nullement une place secondaire dans son développement.

J’appelle tous les étudiants et les personnels à examiner sereinement le contenu de cette loi et à s’en faire une opinion par eux-mêmes. S’il s’avérait que nos universités refusent encore une loi, quelle que soit l’appréciation que l’on porte sur elle, notre service public en sortirait affaibli par rapport à d’autres filières, sélectives ou privées. Oui, je suis convaincu que nous pouvons, dans le cadre de cette loi, continuer d’être une université pluridisciplinaire, accueillant tous les bacheliers et favorisant leur réussite, dotée d’une recherche d’excellence dans différents domaines et fonctionnant démocratiquement.

C’est à nous d’en décider.

 
Jean-Pierre Gesson

Publié dans Université

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V
Si l'Etat est en faillite et que l'argent se trouve dans les entreprises ( ce qui est contestable) pourquoi ne pas taxer les entreprises afin de pouvoir payer les Universités ? On nous répète que si elles sont taxée, les entreprises vont partir à l'étranger. Si des entreprises quittent le pays parce qu'elles sont taxées pour payer l'Université, vont-elles investirent sans arrière pensée dans les Universités. Donc c'est effectivement un droit de regard que souhaitent les entreprises qui investiront dans les facs. De plus, qui dit investissement, dit retour sur investissement donc les entreprises chercheront à récupérer par divers moyens l'argent investit. Mais l'Université ne produit aucune richesse mais produit du savoir. Alors le choix se trouve entre le savoir et l'argent. L'Université doit rester un lieu de transmission et de recherche du savoir, pas un instrument du capitalisme !
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M
Moi, j'ai juste une question : pourquoi pensez-vous que les étudiants et les lycéens bloquent leur établissements ?Personnellement, je ne suis pas pour le blocus que je considère comme une sorte d'irrespect face à ceux qui veulent étudier. Mais voyez-vous un autre moyen, efficace et non-violent, d'attirer l'attention ? Ne coryez-vous pas qu'un mouvement de protestation ne peut se faire en petit comité, sans attirer de curieux, d'ignorants ou d'opposants ? Je crois, je suis persuadée que le blocus est utile dans la mesure où le mouvement s'organise parallèlement dans des actions de discussion. Il s'agit de se faire remarquer et certainement pas d'empêcher les autres de faire ce qu'ils veulent.Puisque cette affaire est en train de virer en opposition bloqueurs / antibloqueurs, notre lycée a organisé un débat ouvert à tous, afin d'expliquer sans aucune interprétation personnelle, le contenu de cette loi et nos actions. J'espère que nous obtiendrons ainsi une plus grande compréhension pour notre mouvement, et je suis persuadée que répondre aux questions peut faire avancer ce mouvement qui est certes présent mais de plus en plus effacé, par habitude peut-être.Voilà mon avis personnel, et j'espère avoir explicité certaines questions qui sont à mon avis restées obscures.Myla
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L
A tous ceux qui veulent reprendre les cours, peut importe la position pour ou le contre la LRU et le blocus.Les gens de la coord sont de bonne volonté et luttent pour une bonne cause mais ils sont pris dans une dynamique qu’ils ne maitrisent plus. Et quoi qu’on en dise il n’y aura jamais de vote non au AG.Le blocus ne pourra pas s’arrété sans un déclencheur, soit les CRS, soit un truc national, soit un évènement local.Comme les deux premiers sont improbable ou exclue, faisant le troisieme.Que tous ceux qui veulent avoir cour viennent lundi 10 à 9h devant leur fac. Plus il aura de monde plus il y aura de pression mais sans violence, sans même d’échange, juste avec le pouvoir du nombre.Disons leur simplement : c fini.Mais attention pour que cela marche et soit légitime il faut :-être nombreux-sans violence -sans dégât.Ils ont bien bloqué sans AG, nous pouvons débloqué sans vote.
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L
Une fois ne sera pas coutume , je suis vraiment d'accord avec le gouvernement , donc avec cette enieme tentative de reforme de l'université .Nos facs sont sous financées , et ce n'est pas de l'Etat "en faillite" que l'on pourra attendre le moindre denier , donc il faut chercher à reformer le fonctionnement actuel , quoiqu'il en soit , et surtout arreter a hurler a la mise a mort a la moindre tentative de modification .Le Petit Nicolas (mais en Plus Grand) - http://www.grandnicolas.com
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M
Long mais super intéressant... Pour ceux qui n'ont pas eut la patience de tout lire. Voici le lien vers une sorte de synthèse sur tout ce que va changer la réforme :http://economie-et-societe.over-blog.fr/pages/Tout_savoir_sur_reforme_des_universites-82975.html
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