Mittal Steel : au secours, les indiens attaquent !

Publié le par Olivier Bouba-Olga

Quelques précisions sur l'OPA de Mittal Steel sur Arcelor et sur le discours médiatique qui a accompagné cet évènement...

Premier élément, sur la nationalité du groupe et sur la notion de patriotisme économique : on nous a présenté Mittal Steel comme un groupe indien. En fait, la définition de la nationalité du groupe pose problème : juridiquement, c'est la localisation du siège social de la tête de groupe qui importe, dans ce cas, Mittal est européen... Certains économistes considèrent que ce critère juridique n'est pas pertinent : il conviendrait plutôt de retenir comme nationalit le pays où sont prises les décisions stratégiques essentielles. Dans ce cas, le groupe est toujours européen... D'autres encore considèrent que la nationalité dépend de la nationalité des principaux actionnaires et là, ouf!, le groupe est indien...

En quoi est-ce important? En fait, on considère implicitement, à travers ce débat, que la nationalité est décisive pour juger des pratiques des entreprises en matière d'organisation de l'activité et de création/destruction d'emploi. Or, rien n'est moins sûr : des entreprises bien françaises ont des comportements stratégiques qui ne profitent pas vraiment à la bonne marche de l'entreprise (Vivendi) ou à ses salariés (Moulinex). A l'inverse, des entreprises étrangères peuvent prendre le contrôle et/ou s'implanter en France, au profit du territoire (Toyota à Valenciennes). Autrement dit, l'association nationalité du groupe - efficacité des choix, qui sous-tend le discours sur le patriotisme économique, est très contestable. La vraie question consiste à se demander si l'OPA permettra de mettre sur pied un groupe plus compétitif, créateur de richesses et d'emplois, au profit de quels territoires.

En l'occurrence, l'avis (initial) du gouvernement et le jugement quasi-xénophobe du PDG d'Arcelor ("on ne mélange pas les pommes et les poires" - je me demande qui est la poire dans l'histoire...) est sans doute un peu rapide : i) Mittal n'est pas un groupe détenu par de méchants capitalistes avides d'une rentabilité financière à court terme, mais une entreprise familiale. Or tout un ensemble d'études montrent que ces entreprises poursuivent plutôt des objectifs de rentabilité économique à long terme, investissent plus que la moyenne dans la formation de leurs salariés, et entretiennent des relations de plus long terme avec l'ensemble de leurs partenaires. Il n'est donc pas sûr, comme l'a affirmé Thierry Breton, qu'elles ne comprennent rien à la "grammaire du capitalisme". ii) il semblerait que de vraies complémentarités existent entre les deux entreprises, à la fois en termes géographiques et en termes de gammes, si bien que l'affirmation selon laquelle le projet d'OPA n'est sous-tendu par aucun projet industriel est également très contestable. Le problème, dans l'histoire, tient donc sans doute moins au comportement "sauvage" du groupe indien qu'à l'incapacité d'anticipation d'Arcelor et du gouvernement...

Plutôt que de se précipiter, tel le pompier camembert, avec un demi-verre d'eau quand l'incendie s'est déjà déclenché, il conviendrait que les politiques définissent, sans doute à l'échelle européenne, sur les secteurs que l'on peut considérer comme stratégiques en termes de création de richesses et d'emplois, et qu'ils s'interrogent sur les moyens i) d'améliorer leur compétitivité (dimension industrielle), ii) de réduire leur vulnérabilité (dimension financière). Dans certains cas, la solution passera par la mise en place d'accords avec des entreprises extra-européennes (quid alors du patriotisme économique?), dans d'autres cas, par des alliances à l'échelle de l'Union. Bien sûr, cela suppose d'adopter une vision élargie de la notion de secteur stratégique, ce qui n'est guère le cas en Europe, au contraire de ce qui se fait aux Etats-Unis... Par rapport à l'affaire Arcelor, il conviendrait donc de savoir si le secteur sidérurgique est un de ces secteurs stratégiques (la question peut faire débat). Si tel est le cas, il aurait fallu s'interroger un peu plus tôt sur la vulnérabilité de cette entreprise. Car si l'OPA est possible, c'est bien parce qu'Arcelor est Opable...

Publié dans Entreprise

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E
Que le cow-boy Thierry Breton s'affole de l'attaque des indiens, cela prête à sourire (voir mon billet d'humeur à ce sujet : http://etiennefillol.org/blog/index.php?2006/02/01/50-malentendants-congenitaux).Mais au-delà de ce surprenant interventionnisme (façon de parler, car son champ d'action se limite aux discours...), au-delà de la nationalité des entreprises concernées, il y a la façon de vivre le capitalisme au sein de l'Union Européenne. Les Etats-Unis, pourtant ultra-libéraux régulent un minimum quand il y va de l'intérêt du pays.Vous posez une bonne question, celle de savoir si le secteur sidérurgique est "assez" stratégique pour en arriver à bloquer une OPA.Pourquoi l'UE ne voit-elle aucun inconvénient au rapprochement TPS/CanalSat ? Il semble pourtant que cela génère une absence de concurrence. Cette même concurrence quasi inexistante dans le secteur de l'eau en France ou les 2 gros se répartissent gentiment les villes...Drôle de capitalisme européen décidément...
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E
Assez d'accord avec cette analyse dans la mesure où le problème de fond n'est pas de connaitre la nationalité de l'entreprise pour se convaincre du caractère utile ou non de son OPA. Certains préfèrent se poser cette question de nationalisme plutôt que de s'en poser d'autres. Cela leut permet de s'appuyer sur une opinion hostile en brandissant des valeurs immédiatement identifiables.<br /> Quand à Monsieur BRETON (libéral s'il en est), il est assez drôle de le voir s'offusquer d'une OPA!!! voudrait-il intervenir sur le marché?<br /> Entièrement d'accord avec la conclusion mais là encore, il n'est pas dans les habitudes libérales de vouloir se pencher sur un pan stratégique de l'économie, du moins au moment où cela serait encore utile.....
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