Journalistes contre blogueurs
Quelques réflexions sur la petite guerre entre les journalistes traditionnels et les blogueurs, suite notamment à cette affirmation de José Bové, interpellé par Nicolas Demorand (France Inter) qui a cité pour appuyer ses propos un billet de Maître Eolas. Propos que José Bové n'a pas apprécié, si bien qu'il a affirmé "sur un blog, on peut dire n'importe quoi".
Une première façon de traiter le problème est de regarder la qualité de la production des journalistes, et celle des blogueurs. On arrive vite au constat que 4 configurations existent : bons journalistes / mauvais journalistes ; bons blogueurs / mauvais blogueurs. On n'est pas vraiment avancé, si ce n'est que les uns et les autres peuvent se renvoyer à la figure les bons exemples de leur camp et les mauvais exemples de l'autre camp (ce qui n'est pas inutile : voir le billet de Jules par exemple sur la prétendue supériorité des journalistes professionnels sur les journalistes citoyens)... Je propose les bribes d'une autre analyse.
Les journalistes et les blogueurs sont des producteurs de connaissance : ils collectent de l'information, la trient, l'analysent, la mettent en perspective, etc.. et la mettent à disposition de leurs lecteurs. Tout l'enjeu est de savoir quel est le niveau des compétences des personnes ou dispositifs censés transformer l'information en connaissance.
L'argument que je défendrai est que la différence fondamentale entre blogueurs et journalistes est liée au processus de sélection de ces compétences. Dans les médias traditionnels, on a un processus de sélection ex-ante des producteurs de connaissance : il faut, pour travailler dans ces médias, être passé par les écoles de formation ou les filières considérées comme les mieux adaptées, il faut franchir les tests de sélection et les entretiens d'embauches, faire ses preuves sur le tas pour ensuite accéder aux meilleures places, etc, etc... Ce processus de sélection ex-ante, s'il fonctionne de manière efficace, doit permettre d'éliminer les plus "mauvais" producteurs de connaissance. Ceci explique la position de certains journalistes, tel que décrit par Maître Eolas :
Côté blog, en effet, il n'existe pas de processus de sélection ex-ante, n'importe qui peut créér son blog, mettre en ligne sa propre analyse, etc... C'est aux lecteurs de faire le tri, dans un processus de sélection ex-post. Sur internet, on va faire son marché. On le devine, la qualité est nécessairement plus hétérogène, puisqu'on n'a pas de sélection avant production des connaissances. Si bien que, comme le dit José Bové, "sur un blog, on peut trouver n'importe quoi."
Sauf qu'il y a un autre point essentiel, largement occulté par les journalistes. L'accélération et la complexité des savoirs à mobiliser pour décrypter les informations de base sont telles qu'aucun journaliste professionnel, par définition généraliste, n'est capable d'en traiter efficacement l'ensemble. Inversement, sur les blogs, les experts de domaines pointus peuvent s'exprimer (tous ne le font pas encore, loin de là). Si bien qu'on peut trouver des analyses plus fines de problèmes que les médias traditionnels ne peuvent que survoler. On a quelque chose qui ressemble à une opposition entre généralistes (médias traditionnels) et spécialistes (blogueurs experts).
quelle implication? Globalement, la qualité moyenne des deux types de média peut être la même, ils diffèrent en revanche certainement par la dispersion de la qualité :
[Modifications 19/02 - 14h00 suite à certains commentaires]
Sur le graphique, la qualité moyenne peut être supposée supérieure dans la presse traditionnelle (Qp) comparativement à la qualité moyenne des blogs (Qb). La courbe de densité des journalistes est plus "petite" afin de prendre en compte le fait que le nombre de journalistes sévissant dans les médias traditionnels est significativement inférieur au nombre de blogueurs. Compte tenu de ce qui a été dit plus haut, on suppose qu'il y a moins de mauvais articles dans la presse traditionnelle en raison du processus de sélection ex-ante, mais aussi moins de très bons articles, en raison de la moins grande spécialisation des journalistes.
De ce fait, si José Bové a raison de dire que sur un blog, on peut trouver n'importe quoi, il a profondément tort d'affirmer cela quand on sait que sur le blog cité par Demorand, ce qui était dit n'était pas n'importe quoi. Il s'agissait au contraire de l'analyse d'un expert, qu'on a du mal à trouver dans les médias traditionnels.
Si on garde en tête cette analyse, on comprend à quel point les deux médias peuvent être complémentaires, l'enjeu pour les médias traditionnels étant de repérer les billets et les blogs de qualité, et d'en faire l'une de leur source d'information. Nicolas Demorand ne fait rien d'autre quand il cite Maître Eolas.
Une première façon de traiter le problème est de regarder la qualité de la production des journalistes, et celle des blogueurs. On arrive vite au constat que 4 configurations existent : bons journalistes / mauvais journalistes ; bons blogueurs / mauvais blogueurs. On n'est pas vraiment avancé, si ce n'est que les uns et les autres peuvent se renvoyer à la figure les bons exemples de leur camp et les mauvais exemples de l'autre camp (ce qui n'est pas inutile : voir le billet de Jules par exemple sur la prétendue supériorité des journalistes professionnels sur les journalistes citoyens)... Je propose les bribes d'une autre analyse.
Les journalistes et les blogueurs sont des producteurs de connaissance : ils collectent de l'information, la trient, l'analysent, la mettent en perspective, etc.. et la mettent à disposition de leurs lecteurs. Tout l'enjeu est de savoir quel est le niveau des compétences des personnes ou dispositifs censés transformer l'information en connaissance.
L'argument que je défendrai est que la différence fondamentale entre blogueurs et journalistes est liée au processus de sélection de ces compétences. Dans les médias traditionnels, on a un processus de sélection ex-ante des producteurs de connaissance : il faut, pour travailler dans ces médias, être passé par les écoles de formation ou les filières considérées comme les mieux adaptées, il faut franchir les tests de sélection et les entretiens d'embauches, faire ses preuves sur le tas pour ensuite accéder aux meilleures places, etc, etc... Ce processus de sélection ex-ante, s'il fonctionne de manière efficace, doit permettre d'éliminer les plus "mauvais" producteurs de connaissance. Ceci explique la position de certains journalistes, tel que décrit par Maître Eolas :
Les journalistes se veulent séparés du citoyen ordinaire en faisant de la "vraie" information, professionnelle, de qualité, vérifiée, recoupée et avec l'expertise que leur apporte leurs années de métier, tandis que les blogs serait le monde du n'importe quoi
Côté blog, en effet, il n'existe pas de processus de sélection ex-ante, n'importe qui peut créér son blog, mettre en ligne sa propre analyse, etc... C'est aux lecteurs de faire le tri, dans un processus de sélection ex-post. Sur internet, on va faire son marché. On le devine, la qualité est nécessairement plus hétérogène, puisqu'on n'a pas de sélection avant production des connaissances. Si bien que, comme le dit José Bové, "sur un blog, on peut trouver n'importe quoi."
Sauf qu'il y a un autre point essentiel, largement occulté par les journalistes. L'accélération et la complexité des savoirs à mobiliser pour décrypter les informations de base sont telles qu'aucun journaliste professionnel, par définition généraliste, n'est capable d'en traiter efficacement l'ensemble. Inversement, sur les blogs, les experts de domaines pointus peuvent s'exprimer (tous ne le font pas encore, loin de là). Si bien qu'on peut trouver des analyses plus fines de problèmes que les médias traditionnels ne peuvent que survoler. On a quelque chose qui ressemble à une opposition entre généralistes (médias traditionnels) et spécialistes (blogueurs experts).
quelle implication? Globalement, la qualité moyenne des deux types de média peut être la même, ils diffèrent en revanche certainement par la dispersion de la qualité :
[Modifications 19/02 - 14h00 suite à certains commentaires]
Sur le graphique, la qualité moyenne peut être supposée supérieure dans la presse traditionnelle (Qp) comparativement à la qualité moyenne des blogs (Qb). La courbe de densité des journalistes est plus "petite" afin de prendre en compte le fait que le nombre de journalistes sévissant dans les médias traditionnels est significativement inférieur au nombre de blogueurs. Compte tenu de ce qui a été dit plus haut, on suppose qu'il y a moins de mauvais articles dans la presse traditionnelle en raison du processus de sélection ex-ante, mais aussi moins de très bons articles, en raison de la moins grande spécialisation des journalistes.
De ce fait, si José Bové a raison de dire que sur un blog, on peut trouver n'importe quoi, il a profondément tort d'affirmer cela quand on sait que sur le blog cité par Demorand, ce qui était dit n'était pas n'importe quoi. Il s'agissait au contraire de l'analyse d'un expert, qu'on a du mal à trouver dans les médias traditionnels.
Si on garde en tête cette analyse, on comprend à quel point les deux médias peuvent être complémentaires, l'enjeu pour les médias traditionnels étant de repérer les billets et les blogs de qualité, et d'en faire l'une de leur source d'information. Nicolas Demorand ne fait rien d'autre quand il cite Maître Eolas.