Vive les grandes écoles !

Publié le par Olivier Bouba-Olga

En France, la voie royale pour accéder à un emploi de qualité consiste à s'orienter dans des prépas, puis à décrocher son entrée dans la meilleure école possible. Mais bien sûr, cela ne dépend pas que des mérites individuels : la reproduction sociale joue à plein, comme en témoigne ce petit tableau, trouvé sur le site de l'observatoire des inégalités :

Composition sociale des classes
Unité : %
  6ème
1995
Terminale S
2001
Classes prépa
2002
Agriculteurs 2 2 2
Artisans, commerçants 8 7 7
Cadres supérieures 12 29 42
Enseignants 3 8 12
Professions intermédiaires 15 19 14
Employés 16 13 9
Ouvriers 32 15 6
Retraités et 12 7 8
Inactifs
Source données : Christian Baudelot - 2003, Mai 2003 Colloque de l’Ecole normale supérieure Démocratie, classes préparatoires et grandes écoles

Là où ca fait mal, c'est lorsque l'on rapproche ces chiffres de l'effort financier entrepris par la collectivité pour les étudiants des différentes filières : 13170 € par étudiant de classe prépa, 6 820€ par étudiant de l'Université (hors IUT)... (Cf. le graphique repris dans un article précédent)....

Ce sur-investissement renforce à l'évidence la reproduction sociale. Quelle solution? Il en existe deux :

i) faire de la discrimination positive afin d'ouvrir les portes des grandes écoles à ceux qui n'y avaient pas, jusqu'à présent, accès. C'est ce que fait Sciences Po Paris, en intégrant des élèves issus de Zep. Plus radicalement, on pourrait suggérer que, dans chaque lycée, un certain pourcentage des élèves aient un accès automatique aux classes prépa, ce qui aurait l'avantage  d'éviter la concentration des meilleurs élèves dans les meilleurs établissements (étant entendu que ces établissements ne sont pas intrinsèquement meilleurs : ils obtiennent de meilleurs résultats seulement parce que les élèves des catégories sociales élevées y sont concentrés...), 

ii) supprimer les grandes écoles. Ce qui n'a rien d'aberrant, si l'on observe que le système des grandes écoles est une spécificité française, nombre d'autres pays développés s'en sortent très bien sans. Cette deuxième solution n'a cependant que peu de chances d'être mise en oeuvre,  pour une raison très simple : les politiques sont quasiment tous issus de ces écoles, et souhaitent que leur progéniture en profite également... Elle aurait pourtant l'avantage d'empêcher, précisément, que les élites du pays soient tous coulés dans le même moule : même si le moule est de grande qualité, il conduit forcément a une certaine uniformisation des visions du monde.

Je ne dis pas que tous les politiques pensent la même chose, mais que tous regardent le monde avec les mêmes lunettes. S'agissant de l'économie, avec, pour l'essentiel, leurs lunettes de macro-économiste. On gagnerait sans doute à ce que d'autres personnes, issues d'autres milieux et d'autres formations, munies d'autres lunettes, puissent participer aux débats et surtout, bien sûr, aux prises de décision...

Publié dans Université

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article
R
Bonjour, je passe par hasard, très intéressants vos échanges, félicitations.Qui est ce MCF de Poitier?Renaud, MCF Paris
Répondre
S
Un site qui peut vous intéresser...http://politiquement-incorrect.blogspirit.com/
Répondre
A
Je suis un peu dans les vappes, donc désolé si j'écris un peu de manière chaotique... (Gros rhume ou grippe à Varsovie, qui me fait rester au lit depuis deux jours... :oS)"on vit dans un monde perdu dans les statistiques. Et on tente de le confronter avec un milieu de type elitiste. Je pense (ca n'engage que moi) que c'est un paradoxe."En quoi est-ce un paradoxe ?"Si on poursuit ton raisonement, on devrait aboutir a une reduction du nombre d'eleves en ecole d'ingé (en effet tout les fils de gens "favorisés" veulent pas faire ingenieur ou commerciaux)...."Pas nécessairement.Ce n'est pas parce qu'il y a reproduction sociale assez intense qu'il n'y a pas d'ascenseur social pour d'autres... (Genre le fils d'ouvrier qui fini cadre sup', etc.)Bourdieu n'est aucunement dans cette optique, et s'il est reconnu internationalement comme un très grans sociologue, c'est justement parce qu'il évite ce type de "facilité" dans ses raisonnements et qu'il s'appuie avant tout sur le réel."Il faut ouvrir les yeux. Je pars de mon experience personnelle."Et évidemment, cela est purement représentatif de l'intégralité de la nation Française ?Je n'ai également pas dit que l'on sélectionnait par rapport  à son origine. Mais qu'il y avait, en raison de crédit culturel, économique, symbolique, des facilités pour de nombreuses personnes, amenant à une certaine reproduction sociale.Déjà, demande toi si le gosse qui est né dans un ménage où il n'y a pas de bibliothèque dans l'appartement/la maison familiale a réellement ses chances d'atteindre un stade supérieur d'étude ?Compare maintenant avec un fils de prof ou de cadre supérieur.Et tu ne penses VRAIMENT pas qu'entre ces deux gamins, l'un va être favorisé par rapport à l'autre dans son parcours scolaire, universitaire, etc ?Bien entendu, il n'y a pas de déterminisme total : cela ne décide pas à 100% de ton "destin". Mais cela influe. Enormément.Pour débuter Bourdieu sans se paumer, le mieux est de commencer par :Contre-feux 1 & 2La TélévisionÇa met en bouche.Puis tu peux enchaîner sur quelques articles de La misère du Monde, et si tu prépares un peu, Questions de Sociologie. J'en suis là, et j'ai aussi les Héritiers à lire...Amicalement,AJC
Répondre
H
AJC<br /> je n'ai jamais lu Bourdieu et c'est pas dans mes priorités de lectures. Je veux seulement soulever un point : on vit dans un monde perdu dans les statistiques. Et on tente de le confronter avec un milieu de type elitiste. Je pense (ca n'engage que moi) que c'est un paradoxe.<br /> Si on poursuit ton raisonement, on devrait aboutir a une reduction du nombre d'eleves en ecole d'ingé (en effet tout les fils de gens "favorisés" veulent pas faire ingenieur ou commerciaux)....<br /> Il faut ouvrir les yeux. Je pars de mon experience personnelle. Oui il y a des fils d'agriculteurs dans ma promo, des fils de comptables ou d'ouvriers. Au-dela de ca, je suis d'accord avec toi, les echecs sont plus nombreux. Mais ca serait ridiculisé ceux qui y sont arrivés, et eux existent bien (et ce n'est pas quelques personnes isolées). Heureusement qu'en France l'ascenseur social n'est pas cassé. <br /> Mon commentaire commence a etre long. Tans pis. Moi je n'appelle pas ca de la selection sociale, mais plutot une predetermination : les fils de medecins sont plus attirés par les etudes de medecine que les autres. Mais on ne selectionne personnne par son origine. On interdit rien. Les portes sont ouvertes, parfois un peu lourdes a poussées, mais cela reste faisable. Tout le probleme des filiaires prepa, c'est que les gens voient ca comme une epreuve, et quand ils echouent, ils regardent le contexte pour s'expliquer. <br /> J'espere ne pas avoir ete trop barbant et trop borné dans mes idées (je pense que si mais bon...). Merci pour le conseil de lecture en tout ca ;)<br /> Amicalement,<br /> Howimboe
Répondre
A
Howinboe :Je répète le conseil lancé juste au-dessus de toi, rédigé par Stefbac... le mieux est de lire ou relire Bourdieu si l'on croit VRAIMENT qu'il n'existe aucune "sélection sociale" parce que cela n'est pas cher de tenter le concours.Il n'y a pas que les capitaux économiques, dans la vie. Mais également symboliques, culturels et relationnels. Et tout cela ne participe pas à une forme d'égalité des chances, lorsqu'on soumet tout le monde au même traitement...Et sans ces inégalités de capitaux, comment expliquer le grand nombre d'échecs de la part des fils d'ouvriers ou l'in-accessibilité de ces filières à ces derniers ? Ils sont plus bêtes, ou comme je l'ai déjà lu dans un article rédigé par un abruti de diplômé d'école de commerce, il y a un problème de génétique là-dessous ?...Amicalement,AJC
Répondre